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vii
PRÉFACE

lui-même : on l’accusa aussi de copier Baudelaire et Poë. Avec plus de vérité, on pouvait dire simplement qu’il naquit après eux ; avec plus de justice on peut dire qu’il leur ressemblait. Frère cadet de ces aînés, il les aima jusqu’à la vénération, avec une sorte de gratitude, parce qu’en ces deux esprits, identiques au sien, il trouvait la consolation d’une ressemblance, et parce qu’en leur œuvre, parachevée avant la sienne, il pouvait, ainsi qu’en un miroir profond, mirer sa propre angoisse, sans se soumettre aux affres de la dire : en sorte qu’on l’accusa d’être eux, précisément parce qu’il était lui.

Rollinat fut, entre nous tous, le plus essentiellement poète : il n’a vécu que pour son rêve, par son rêve, dans son rêve, et il en a pâti de toutes les manières, puisque les insuffisances mêmes de sa forme souvent peccable furent une conséquence de cet illusionisme qu’entretenait en lui la permanente acuité de ses visions. En ce promeneur d’enfer, réchappé du Dante ou des ténèbres, tout décelait l’angoisse d’une hantise ; son masque pâle, aux traits purs et nets, encadré dans l’auréole d’une crinière noire qui s’agitait comme si des bouffées de frissons l’eussent traversée sans repos, et ses prunelles électriques, sa bouche crispée, qui lui faisait peur à lui-même… Assis devant le piano banal, qui sous