Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
LA BARATTE

Mon père était bon marin, et il gagnait, à Islande, des écus et de l’or, tant et plus ; mais, une fois à terre, il buvait tout, et toujours en bordée ! Pour lors, on ne mangeait pas, l’hiver, et nous étions sept enfants, sans compter mon frère Yves-Marie, qui faisait huit, et qui était drôle, comme on appelle : je veux dire qu’il n’avait pas toute sa tête ; mais il était fort, dame ! et solide, et il lui fallait des patates à son souper, plus qu’à un autre, encore. Mais on n’en avait pas à lui donner tous les jours, ni de la soupe, bien sûr, et personne ne mangeait à sa faim.

C’est dans ce temps-là que je me suis mariée avec mon mari ; au commencement, ça marchait : il était bon marin, lui aussi ; mais il n’allait pas à Islande ; il ne buvait que le dimanche et le lundi. C’était un brave garçon, je dois le dire, pas mauvais et courageux à l’ouvrage, qui savait la mer ; mais, quand il était en boisson, il ne connaissait plus rien et il cassait tout. Mon meilleur temps, c’est quand il rentrait tout mort à rouler : alors, ça allait ; je n’avais qu’à le ramasser pour le mettre dans le lit, et, comme ça, il ne faisait pas de dégât dans la maison. Ça coûte, quand