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LE PRISONNIER DE SON ŒUVRE

à coup, ce grouillement prit corps et fut le corps de Berthe, qui boulait, qui m’attirait ; et, tout à coup, le corps de Berthe fut le mien, étalé sous mes propres yeux, et je me voyais pourrir.

D’effroi, je poussais un cri strident. La peur de mourir me dressa sur mon séant. Mais, trop faible, je perdis aussitôt l’équilibre et je roulai à bas du lit…

Après cela, c’est une nouvelle lacune dans ma mémoire : je ne sais pas comment s’acheva la journée. J’ai la vague réminiscence d’être revenu à moi, vers le soir, et je grelottais nu, sur le sol. Je m’entends geindre. Ensuite, j’ai dû dormir.

Ce sommeil m’a sauvé. Probablement il fut long, car il faisait grand jour, lorsque je m’éveillai, voyant tout, jugeant tout, épuisé, mais redevenu un homme.

Le premier mouvement que mes bras purent exécuter fut de se tendre vers l’ancienne adorée. À genoux, au bord de sa couche, je levais vers elle mes mains ressuscitées, mes regards de prière, mon remords inutile. Ah ! comme j’ai pleuré sur le bord de ce lit, et comme elle est entrée dans