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LE PRISONNIER DE SON ŒUVRE

— Je ne veux pas répondre.

— Berthe ! Berthe !

— Je ne peux pas répondre. Je ne bouge plus. C’est ton œuvre.

Je me suis mis à regarder le plafond, moi aussi, cherchant l’endroit que Berthe fixait si âprement, et je le cherchais avec obstination, convaincu d’y lire sa pensée, comme si l’œil de la morte eût écrit au plafond les choses qu’elle avait à me dire. Et je les ai lues, les réponses de Berthe : c’était des paroles tranquilles et nettes. Elle disait : « Tu m’as tuée. C’est fait. Laisse-moi. »

J’ai voulu crier : « Pardon ! »

Mais elle déclara : « Tu as fait la chose irréparable. Il ne sert à rien de demander pardon. Ton remords ne me ressuscitera jamais.

— Je t’aimais tant !

— L’amour n’est pas une excuse au crime de tuer.

— J’étais jaloux !

— Une vie n’appartient qu’à elle-même ! L’épouse n’est pas le meuble de l’époux, un bibelot qu’il peut casser à sa guise. Je vivais : chacun est le seul maître de sa vie.