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LE PRISONNIER DE SON ŒUVRE

Par leur souffrance, j’apprenais une à une toutes mes cellules musculaires ; elles grinçaient toutes ; elles m’appelaient à l’envi. Le supplice, à mesure qu’il durait, loin de s’atténuer, gagnait en acuité.

C’est dans cette période que je repris ma pleine connaissance.

Ma chair se tordait, mais elle se tordait seulement dans ma pensée, car tout, de mon corps, restait immuable, et, dans ce tressaillement universel, rien ne semblait frémir. Mon être entier était figé dans sa douleur, qui vibrait seule au fond de lui. Aucun réflexe n’en secouait la masse inerte. J’étais un bloc de souffrance sous les aspects de l’impassibilité, une statue du sommeil dont les molécules se convulsent, un marbre douloureux, à peine teinté de vie, et qui vivait tant.

Puis, un moment fut, où je voyais.

Mes facultés de perception, en se dégageant de ma gangue, renaissaient imperceptiblement : je sus discerner les formes immédiates ; je n’enregistrais pas mes visions dans l’instant où je les percevais, car j’avais trop mal, et mon mal m’occupait tout ; les images entraient en moi et s’y déposaient, attendant