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LA PEUR

leur flottante, et que je suppose comparable à celle des patients qu’on opère sous le chloroforme.

Puis, du temps…

Dans ce coma, peu à peu, le sens de la vie se dégageait : je ne me percevais pas encore, mais je m’apparaissais. Quand je pris mieux conscience de moi, ce fut uniquement par la douleur, qui, en quelque sorte, préexistait à moi et me ramenait à moi-même.

La douleur, toujours confuse, se précisa. Puis, elle devint plus nette encore. Localisée nulle part, elle était générale. Mais, à mesure que du temps passait, elle se localisa si bien, et partout à la fois, que je croyais discerner individuellement chacun de mes muscles et sa torture propre. Imaginez un cours d’anatomie sur l’animal vivant, et les innombrables faisceaux de chair maniés ensemble par des pinces, par des milliers de pinces automatiques qui fonctionnent de concert, qui tenaillent, tirent, détachent, compriment toutes les fibres de tous les muscles en même temps, séparément, sans en oublier une seule !