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LA PEUR

s’en amusait et se piquait d’honneur à faire sa volonté en dépit de la mienne : son rire cherchait ma bouche, son dernier rire, humide, tiède…

Je n’ai pas pu résister bien longtemps. Dès que ses lèvres eurent touché les miennes, le souvenir de l’autre revint furieusement, de cet autre qui avait connu comme moi la saveur de ce baiser-là ! Le baiser impossible, depuis qu’il n’est plus à moi seul, qui existe et n’existe plus ! D’un coup de rage, je rejetai les couvertures, pour voir encore l’adorable statue de mon amour passé, de mon bonheur défunt, et m’en emplir les yeux, à ma sortie du monde !

Je me souviens que, à un moment, j’ai murmuré : « Berthe… je sais… »

Elle avait les paupières closes et ne daigna point les soulever, mais elle sourit, et presque aussitôt j’ai parlé une seconde fois : à voix basse, j’ai articulé le nom de l’autre, et le nom de la rue où ils se rencontraient.

Alors, elle a rouvert les yeux, et leurs regards, subitement angoissés, ont plongé dans les miens, pour y chercher, à leur tour, la vérité qui se dérobe…