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LE PRISONNIER DE SON ŒUVRE

lorsque j’ai su. Ce fut, dans la première seconde, un choc, quelque chose comme une pierre reçue au sommet du crâne, et l’étourdissement, des cercles de lumière bleue, orange, verte, rose, qui roulent au milieu du vide noir. Puis, presque aussitôt, une sérénité lourde s’établit dans tout mon être. Me ferai-je comprendre, si je compare mon état à un bol de mercure ? Âme et corps, un bloc, rond, opaque, et le niveau plat de la masse oscille sans frisson, à chaque pas, à chaque pensée…

Ce calme-là, voyez-vous, et qui ressemblait tant à une délivrance, c’était la notion profonde d’en avoir fini avec tout, et c’était déjà notre mort. Toutes mes dispositions se prirent d’elles-mêmes, en vue de notre suicide, et tout se trouvait combiné, préparé, décidé, sans que j’eusse délibéré sur rien : il ne me restait plus que des gestes à faire.

Lesquels ? Ceux-ci : ne rien dire à Berthe, pour la posséder encore une fois, et, dans l’étreinte, lui crier tout, pour tuer d’abord son rire ! Puis, ensemble et sans agonie, mourir pendant ce baiser-là. Il existe des toxiques végétaux qui procurent une telle mort : leur