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LA PEUR

domination perpétuelle ; elle s’admirait dans mon amour, fière d’accorder tant, et vaguement vexée de recueillir si peu. Sans autre joie que de rire et de régner, elle s’abandonnait gaiement, sans passion : un tour d’amour, un tour de valse !

Un soir, elle a changé de danseur.

C’était se tuer, me tuer ? La belle affaire ! Elle a imaginé, comme toutes les femmes, que je n’en saurais rien. Longtemps, peut-être, elle a eu raison, et je n’ai rien su. Mais, le jour où j’ai deviné, le jour où j’ai soupçonné, la danse changeait de mesure ! Imaginez un air de valse qui va se terminer par la Course à l’abîme

D’abord, j’ai compris, à sa mine, que des choses nouvelles avaient dû se passer : lesquelles ? Berthe changeait, mon amour ne l’amusait même plus : pourquoi ? Cette espèce de lassitude lui était venue tout d’un coup : comment ? Je ne suis pas un niais, et je suis jaloux. Probablement, j’ai découvert la vérité tout de suite. Quand je dis que je l’ai découverte, j’exagère : je l’ai seulement supposée. Je n’avais ni certitude ni preuve, mais une sensation qui devint une conviction, et