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L’AGENDA

près du pont, dans l’ombre, un cri déchirant ! Je l’entendrai toute ma vie. Il m’arrêta sur place, et je sentis une sueur froide à la racine de mes cheveux. J’ai voulu me sauver, et je n’ai pas pu. Je courais, pour ainsi dire, au dedans de moi, sans bouger : c’est une sensation atroce. Je ne l’avais jamais éprouvée qu’en rêve. Elle ne dura guère ; presque aussitôt, je vis sortir des ténèbres un homme qui fuyait dans ma direction, et, en même temps, trois autres hommes derrière lui. Le premier vint me tomber dans les jambes. Ceux qui le poursuivaient furent sans doute surpris de voir deux personnes au lieu d’une, et ils hésitèrent un moment ; puis, rassurés par mon air inoffensif, ils se jetèrent sur nous. Un d’eux me cria dans la figure : « Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que ça te regarde ? » Et voilà que je reconnais le petit boucher. Les deux autres s’acharnaient à coups de couteau sur le blessé. Mais le petit boucher leur dit : « Nous sommes cuits. Je connais ce pante-là ! Il va jaspiner. » Ils répondirent : « Surine-le. » Mais, au même moment, un d’eux cria : « La rousse ! » Aussitôt ils prirent la fuite. Je vis une lueur