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LA PEUR

tirèrent sur une poutrelle qui, faisant levier, me heurta : la douleur m’arracha un cri.

— T’entends ?

— Pige-le !

— Il nous a vus !

— Il jaspinera.

— Faut le zigouiller !

— Non. Viens.

— Je te dis qu’il faut ! On n’y connaîtra rien, dans le tas.

Ils ne parlèrent plus : mon sort se décidait entre eux, et j’attendais la fin de leur silence, mon verdict.

Brusquement, ils détalèrent. Ils me faisaient grâce, par peur, et, aussitôt, je conçus pour eux une reconnaissance émue : ces bandits, qui auraient pu me tuer impunément, venaient de me donner la vie, en ne me la prenant pas, et, dans mon instinct de bête menacée, j’ai oublié leur crime et leur ignominie, pour ne voir que leur clémence : je les ai bénis, je les ai aimés. Ah, que la morale humaine est fragile ! Dans les crises trop violentes, que de choses s’écroulent en nous ! Que de principes et d’axiomes tournoient dans le vertige et