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LES DOUZE HEURES D’UN TAMPONNÉ

que l’unique résultat de ces tentatives serait de me causer une douleur : n’importe, je les renouvelais quand même, et périodiquement, avec la persévérance d’une machine.

Chaque fois qu’un pas humain résonnait sur la voie, j’appelais. Toujours, on passait sans répondre. Mon appel se perdait dans le nombre des cris, et tous, d’ailleurs, étaient noyés dans un ronflement sourd, monotone, lointain, qui planait, qui roulait, et qui venait je ne sais d’où : c’était comme le râle d’une bête monstrueuse qui dominait celui de nos petites agonies. Je percevais aussi des craquements. J’écoutais tout. J’attendais. Il dut se passer des heures…

Oui, des heures, car la belle fille ne saignait plus. Son sang, refroidi sur mon torse et mon ventre, collait. Quand je faisais un effort pour respirer, ou pour changer de place, un peu, je sentais cette poix sur ma peau.

L’air aussi me semblait gluant. J’étouffais. Une fade puanteur de boucherie et d’excréments s’affadissait encore du parfum que dégageaient les cheveux de la jeune fille, sa tête sur mon épaule, sa poitrine plaquée à la mienne.