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LA PEUR

tous ensemble, ils se ruèrent en moi avec la frénésie d’un orchestre infernal, mais lointain, où des sons de métal mêlent leur discordance à celle des voix humaines : clameurs et cris, appels et râles, des plaintes sourdes et des notes stridentes… Puis, d’autres voix plus nettes, et saines, des voix que je n’avais pas entendues depuis des siècles, s’affirmèrent, et la parole des vivants prédomina dans le murmure impersonnel des blessés qui agonisaient.

C’est à ce moment que l’espérance naquit en moi.

Je prêtais l’oreille. Un pas lourd courut sur le gravier, et s’arrêta. Un homme proférait :

— Y en a-t-il ! Y en a-t-il !

Un autre pas approchait.

Je criai.

Les pas s’éloignèrent. Des commandements, au loin, se précisaient.

— Je suis sauvé ! On vient à nous !

Je me remis à crier. Rien ne me répondait.

Par moments, et d’une façon chronique, je tendais tous mes muscles pour me dégager du chaos ; il m’était impossible de mouvoir un seul de mes membres, et je le savais ; je savais