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LES DOUZE HEURES D’UN TAMPONNÉ

Dans ma stupeur et mes angoisses de bête agonisante, j’avais pu jusqu’alors oublier le monde et me croire seul.

Je me rappelai la belle jeune fille, son cri, son corps lancé sur le mien dans le fatras des choses noires.

— C’est elle, qui saigne sur moi ! Ce qui m’a protégé, c’est elle ! Cette bosse dure qui me comprime l’épaule, c’est son crâne, sans doute ? Sur ma poitrine, c’est la sienne ! Je n’aurais donc rien, moi ? Je n’ai rien !

Je l’avoue et j’en suis bien sûr : je n’éprouvais ni honte de ma vie sauvée par une autre, ni pitié pour cette autre-là. Bestialement, je jouissais de l’espoir animal, et le premier acte que j’accomplis en pleine conscience fut de tourner mon regard de résurrection vers la petite lueur qui bleuissait en avant, un peu à droite, dans les décombres…

C’est en la regardant que, pour la première fois, je constatai les bruits du dehors et que je connus l’espérance !

Je les entends encore, ces bruits, et même je les discerne mieux que dans l’instant où,