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LES DOUZE HEURES D’UN TAMPONNÉ

je ne le sens plus : s’il était coupé, le déchirement des nerfs me causerait une douleur que je n’éprouve pas. Bien. J’ai toujours mon pied gauche… Les bras me font mal, assez, pas trop ; je puis remuer les doigts. Bien… Est-ce que j’aurais mes quatre membres ? Cela n’est pas vraisemblable… Oh ! que c’est douloureux de penser ! Ça me tord, dans la tête… En voilà assez. Je ne peux plus.

Un peu rassuré (je l’imagine, du moins), je fermai les yeux, malgré moi, pour me reposer ; mais des bribes de raisonnement recommençaient à se nouer.

— Je dois avoir reçu un grand coup sur la tête ; le travail de penser me fait souffrir. Je suis fichu.

Je m’alanguissais, en effet. Soudain, je tressaillis.

— Là, tiède, sur ma poitrine ! Qu’est-ce que c’est ? Sur mon ventre, c’est froid, et ça glisse… Du sang ? Oui… c’est du sang ! Ça chatouille, ça poisse, ça descend… Oh ! comme il y en a ! J’ai là une terrible blessure ! Ça coule sur ma cuisse. Cette fois, mon compte est bon. Plus de doute. C’est fini, c’est fait. Plus qu’à attendre : je me vide. Eh