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LES DOUZE HEURES D’UN TAMPONNÉ

ment que deux causes : l’ignorance où j’étais des brusques motifs de mon trépas, et un manque d’habitude à cet état nouveau qui consistait à vivre mort.

Pendant cette période, j’ai fort peu souffert : plutôt que de la douleur, plutôt que de l’angoisse, j’éprouvais du malaise. L’ébranlement nerveux de mon organisme tout entier ne me permettait pas davantage.

Le pire vint ensuite, et ma véritable torture ne commença que dans les instants progressifs où peu à peu je recouvrais mes sens. À ce moment, l’idée d’être mort se mua, sans transition, en une crainte de mourir.

— Je pense, donc je suis !

Le mot de Descartes a sauté en moi comme un ressort qui se détend… Pardon : cela non plus n’est pas tout à fait juste ; il ne faut pas dire : un ressort ; il faut dire : un levier. Cette pensée (c’était bien une pensée, alors) se levait avec une force sûre, et me levait : j’eus la sensation de monter, de surmonter, de me dégager ; mes muscles bougeaient intérieurement, mes paupières s’ouvrirent, et ma poitrine aspira. Oh, mal, très mal ! En ce moment-là, oui, j’ai souffert.