Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
LES DOUZE HEURES D’UN TAMPONNÉ

à l’aide d’un miroir de proche. Elle souriait, regardait au dehors, et recommençait à sourire, non pas à moi, ni même à sa propre image, mais à nous, à la pensée de nous, et du souci d’amour qui planait entre nos jeunesses : la complicité des esprits qui se reconnaissent sans se connaître, parce qu’ils pensent en même temps à la même chose, s’établissait et s’accentuait, de la belle jeune fille à moi, et nous devisions en silence, en un flirt d’autant plus osé que nos répliques restaient muettes.

— J’arrange mes cheveux, disait-elle, et vous me regardez, Monsieur ! Je ne vous vois pas, mais je vous vois. Mes cheveux vous semblent très doux à toucher, n’est-ce pas ? Oh ! je devine !

— Mes doigts sont jaloux des vôtres.

— Oui bien, je sais : vous leur enviez et travail de glisser dans mes frisons ? C’est défendu, Monsieur ! Regardez et ne touchez pas !

Avec de gracieuses mines, des torsions de cou, des gestes, des poses, elle s’attardait complaisamment à sa besogne provocante ; tout ce jeu ne tendait visiblement qu’à affoler un pauvre spectateur, et la coquette fille amusait son réveil avec la volupté de se faire