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LA PEUR

qu’une imperceptible ironie mêlait de la malice au sourire de cette enfant.

Son père, barbu de neige, avec la dignité d’un fleuve qui serait millionnaire, bourgeoisement gras, et sa mère, aristocratiquement maigre, contemplaient le paysage, sans le voir : ils dormaient encore au fond d’eux-mêmes, et leurs deux visages, en profil perdu, se dessinaient sur un fond de sites rayés qui glissaient électriquement ; les stries ondulantes de notre fuite à travers les prés ou les bois, et la danse ivre des fils télégraphiques hypnotisaient leurs prunelles et les rendormaient malgré eux. Seuls, la jeune fille et moi, rentrés en pleine possession de nos consciences matinales, jouissions de la vie et du jour ; entre elle et moi, mais sans que nos yeux se fussent rencontrés, une conversation muette s’établissait peu à peu : la complicité d’être jeunes ensemble nous rapprochait à l’insu des vieux.

Soudain, elle parla :

— Oh ! mère, qu’on va vite !

Évidemment, elle parlait pour que j’entendisse sa voix, qui était câline et profonde ; en même temps, elle arrangeait sa chevelure