Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
LA PEUR

Pour moi, je ne songeais guère à mal, et au contraire. Nous allions vite : nous faisions, au bas mot, du quatre-vingts ou du quatre-vingt-dix. Quelle griserie de voir glisser les paysages ! Vite ! Vite ! On va si vite que l’on voudrait aller plus vite encore, et cette fuite donne un vertige, comme le gouffre, une ivresse, comme le champagne ! La vitesse est le dernier vin du siècle buveur d’eau ; nous en avons la soif ardente, puisqu’elle seule aujourd’hui sait nous griser encore, et tout va vite, et tout doit aller vite, au réel comme au figuré, dans l’ordre des idées aussi bien qu’à travers l’espace, en politique, en art, sur les grand’routes ou sur les voies ferrées. Télégraphe et téléphone, automobiles et métropolitains, tout nous est bon pour raccourcir le monde, et ces outils sont pour nous autre chose et bien plus que les instruments de notre activité fébrile : ils sont notre symbole. À la veille des grandes crises qui vont transformer leur existence, les bêtes et les sociétés sont prises d’une fièvre qui en est le prodrome : notre vieux monde entre en délire, et son délire est d’aller vite. Où ? N’importe, pourvu qu’on aille de l’avant ! Comment ?