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« Nous sommes les enfants ignorés de leurs mères ;
Nés d’un frisson d’amour, nous mourons de frissons,
Et plus que les fœtus nous sommes éphémères,
Nous, leurs frères, qui nous berçons
Dans nos berceaux de porcelaine
Accrochés aux duvets de l’aine,
Comme au long des sentiers la laine
Pend aux buissons.

« Et tous, assassinés par l’onde du baptême
Dans les Saxe et les Chine ou dans les grès rugueux,
Dans les fleurs des faïences ou les fleurs de Bohème,
Nous fluons à l’égout fongueux :
Puis notre flotte erre et navigue
Dans l’écluse, contre la digue
Et sous le pont où la fatigue
Endort les gueux.

« Nous en avons tant vu grelotter sous les arches
Que nous en avons pris en pitié les vivants ;
Tant vu qui regardaient, assis aux bords des marches,
Courir leurs rêves décevants ;
Et mieux vaut le peu que nous sommes
Que d’être devenus des hommes
Essayant de pénibles sommes
À tous les vents !

« Nous aurions pu peupler cent mille fois la terre,
Être héros, rois, dieux, avoir soif, avoir faim ;
Nous étions tout, étant le nombre et le mystère,
L’ébauche du projet divin :
Mais nous roulons, tourbe inféconde,
Vers l’inféconde mer qui gronde,
Vers la mer cuvette du monde,


Le sire de Chambley.