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LA VIE EXTÉRIEURE.



LE CHEVAL DE FIACRE


à alfred grévin

 
Le jour, la nuit, partout, glissant sur le verglas,
Suant sous le soleil, ruisselant dans l’averse,
Tendant avec effort son nez que le vent gerce,
Trottant sa vie, il souffle, éternellement las.

Sa crinière aux poils durs qui tombe en rideaux plats
Tape son long cou sec que la fatigue berce ;
Sa peau, sous le harnais battant, s’use et se perce ;
Son mors tinte, et le suit comme son propre glas.

Ouvrant ses grands yeux ronds, doux comme sa pensée,
Il court, en ruminant dans sa tête baissée
L’oubli de la douleur et le pardon du mal.

Et la foule, devant ce héros qu’on assomme,
Passe sans regarder le sublime animal
Dont nous ferions un saint si Dieu l’avait fait homme !