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LE SOIR.

Et je me suis sauvé, mais je l’entends toujours.
Il me suit : dans mon pas qui sonne aux carrefours,
Dans le brusque frisson des feuilles que je touche,
Dans le bruit de mon geste ou le vent de ma bouche,
C’est lui, c’est toujours lui que j’entends, toujours lui !

Comme la vie est dure aux rêveurs de l’ennui ;
Mais quand la mort descend, comme la vie est douce !


Je songe à nos baisers qui déchiraient la mousse,
Aux parfums de tes seins, aux langueurs de tes sens,
Aux soirs tièdes, aux jeux des réveils caressants,
Au long chemin d’amour que faisaient nos deux âmes ;
Je songe à l’heure rose où nous nous épousâmes,
Aux amis sûrs, à leur clair regard, à leur voix ;
Aux beaux ciels, à l’aurore, à la mer, aux grands bois ;
Parfums, tons et saveurs, à toute l’harmonie ;
Je songe à l’art, au but, à l’œuvre non finie,
Aux douceurs de pleurer, au bonheur de souffrir :
Et j’ai, moi qui chantais la mort, peur de mourir !

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