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LA VIE INTÉRIEURE.



CAMPO SANTO



C’est comme un champ de mort qui remplit l’horizon :
Mon cœur, blanc de tombeaux, s’étend sous l’ombre morne
Où ma strophe, parmi les vieux marbres qu’elle orne,
Balance éperdûment sa grise floraison.

Ni le sol, ni le ciel, rien n’a plus de saison :
Aucun astre ne luit sur ce désert sans borne,
Hors la lune, croissant que le nuage écorne
Et qui fait grelotter mes morts dans leur prison.

Tout dort : joie, espérance, amour, vertu, courage ;
Mon cimetière est plein des forces d’un autre âge,
Et je n’ai pas encor compté tous mes cercueils.

Mais parfois, mes damnés, hurlant dans la nuit noire,
Se lèvent, comme pour insulter à mes deuils,
Et leurs spectres railleurs dansent dans ma mémoire.