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LA VIE INTÉRIEURE.


J’entends ses quatre pieds heurter d’un choc unique
La trace de mes pieds dont saignent les orteils ;
À chaque pas, je sens sa corne qui me pique,
Et ma fuite repart dans de fougueux réveils !


Sur la fange qui glisse et le sable qui fonce,
Sur la vase où mon poids me creuse des tombeaux,
Sur les mille scalpels du roc et de la ronce
Où mes muscles tordus s’accrochent par lambeaux,


Dans les joncs des étangs, sous les murs des falaises
D’où ma fuite en passant fait fuir les goélands,
Dans les guérets, dans les labours et dans les glaises,
Sous les bois, sur l’échine osseuse des monts blancs,


Je cours, je cours, je cours… Mon cœur bat ma poitrine ;
L’air glacé que je bois dans des efforts nerveux
Tarit ma gorge sèche et coupe ma narine,
Et le vent de courir siffle dans mes cheveux !