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L’AUBE.

J’ai construit un vaisseau géant, noir sous la flamme
Teinte aux couleurs de vos cheveux ; je l’ai rempli
Du reste des fiertés qui grandissaient mon âme,
Et je l’ai naufragé dans les mers de l’oubli.


Puis, grave, ayant perdu mon trône et ma patrie,
Mon sceptre et mes trésors, mon peuple et mes palais,
Je suis venu traîner ma noblesse appauvrie
Près du porche de pierre où causent vos valets.


Reine ! On m’a vu pleurer au seuil de votre Louvre,
Pareil aux mendiants accroupis sur les quais ;
Je tremble et mon sang bat quand votre porte s’ouvre,
Et mes douleurs de roi font rire vos laquais !


Mais j’accepte en dompté leur risée infamante,
Et je boirais encor les affronts déjà bus
Pour voir glisser au loin les plis de votre mante
Ou regarder les yeux de ceux qui les ont vus.