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malheur suffisait à lui rendre. Il regardait son ami parfois, à la dérobée, et une tristesse infinie le prenait alors, devant le calme souriant de ce visage. Tel il l’avait aimé jadis, tel il le retrouvait maintenant, mais grandi. Il le voyait pareil à ces Olympiens de la Grèce, en qui l’art s’efforça de mettre tout ensemble le double caractère de force et de bonté, sans lesquels la conception de Dieu est impossible aux sages. Il l’admirait dans sa taille haute, ses épaules larges, sa tête puissante et son masque audacieusement sculpté, sans une ride, qui s’encadrait d’une chevelure et d’une barbe épaisses et blondes. Pierre avait de grands yeux bleus qui brillaient dans l’ombre profonde des orbites avec la douceur des yeux d’enfant. Son visage était presque toujours grave, et rarement les joies s’y manifestaient par des plissements de rire ; mais une expression de bonheur s’épandait alors sur toute cette face, qui en paraissait enveloppée et baignée comme d’une lueur qu’elle aurait produite elle-même.

Aujourd’hui, ce rayonnement intime, qui tant de fois avait réconforté Desreynes, le poignait de chagrin, comme le spectacle d’une agonie. Il lui semblait être près d’un homme condamné à mourir, et qu’il accompagnerait jusqu’au supplice, lâchement, sans que la victime connût rien de sa destinée.

— Voilà donc l’œuvre des femmes !

Il voulait n’y plus penser. Il prit le bras d’Arsemar, et se serra contre lui.