Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui revenait plus que par alternances, à la suite de ses angoisses, comme un vers sonne à temps égaux sur la fin des strophes nombreuses.

Il sentait bien que Pierre l’avait pour ainsi dire supprimé de sa vie, effacé de son âme, et que l’amour seul enserrait son être affolé. Il subissait sans amertume cet abandon si mérité, et ne retrouvait que sa propre faute dans les brusqueries ou les aigreurs qui répondaient souvent à ses soins les plus tendres. Il se désolait de voir le caractère de son ami se pervertir ainsi, et, plus que toute autre chose, ce changement douloureux l’accusait comme son œuvre : le Pierre qu’il avait connu si calme et droit, si bon, était devenu peu à peu l’homme intolérant dont les nerfs excités se crispent et se révoltent au moindre attouchement.

— Par mon fait ! Et comme il doit souffrir de se voir tel qu’il est !

Georges acceptait tout, et presque avec reconnaissance ; plus on le rudoyait, plus son ancienne impatience s’assouplissait aux besoins de la tâche ; et plus on était dur, plus il se faisait doux : non point par esprit de contraste, comme il eût essayé en d’autres temps ou avec d’autres hommes, mais par amour, par sentiment profond d’un devoir qui lui était cher, et qu’il remplissait sans même s’en donner l’ordre ou le conseil. On le repoussait ? Sa conscience en était accablée pour la cause, mais il y trouvait aussi une sorte de soulagement intime, parce qu’il lui paraissait juste d’être la victime immolée sur sa propre faute, et son