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rent sur les roches noires ; puis, la lune se leva, pareille à un bouclier rond, et rougit la nuit qui tombait. Ils restèrent là, écoutant les vagues dont le ressac grondait familièrement à leurs pieds.

Arsemar adorait la mer, pour sa grandeur, pour sa beauté, pour sa bonté : car il la savait bonne, la nourrice du monde, la vaste tombe vers qui peuvent se réfugier toutes les angoisses, qui les entend pleurer, qui parle de la mort sans en donner l’effroi ; elle, la toute-puissante et qui s’agite impuissamment dans le mur de ses digues, comme nous dans la prison de notre vie ; elle si grave et tourmentée, l’image élargie de nos cœurs ; elle qui nous ressemble, virilise nos vœux, se dit sœur de nos peines, les accueille, les caresse, les aime et nous les rend plus chères, nous les endort en les rythmant, les épuise en les développant à sa taille, et les fait oublier en feignant d’en causer.

Elle hurle, menace, tempête, et prie ; nos misères se diffondent dans sa voix : l’homme se sent infime et n’ose plus crier ; mais il semble qu’il grandisse, à force de se reconnaître petit : le monde s’éloigne de lui ; les vides se comblent comme le creux des roches se remplit sous le flux ; les causes du mal se troublent dans l’esprit, se dépersonnalisent ; les chagrins deviennent une douleur, sourde, profonde, austère, sans rage, sans éclats, une religion de la douleur : quand on souffre auprès d’elle, on souffre comme un dieu !

Puis, quand elle nous a séparés des foules, elle nous peuple la solitude ; elle est l’ami qui na jamais trompé.