Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intéressait que par le linge de ses femmes et le moelleux de ses fauteuils. Les artistes l’attiraient davantage ; mais leur indépendance, parfois bourrue et familière, choquait ses instincts de gentilhomme par l’or ; puis il les trouvait d’esprit étroit et exclusif : au fond, peut-être, craignait-il chez eux un peu de mépris pour son dilettantisme stérile. Sculpteurs, musiciens, peintres, littérateurs, il les voyait tous, s’entendait au métier de tous, connaissait les secrets et les lois, montrait des préférences et même des enthousiasmes, discutait, critiquait et conseillait ; son goût était généralement prisé, et ses avis avaient fait des heureux. Par caprice, il donnait un article à quelque journal, et sa prose, sous des apparences paradoxales, s’éclairait de verve et de bon sens : ses assertions, souvent si fausses lorsqu’il abordait quelque sujet de métaphysique ou de morale, portaient plus juste ici, parce qu’il jugeait d’après son pur et simple sentiment, au lieu d’analyser avec sa raison. Des chroniques firent tapage : quelques directeurs voulurent « s’attacher une telle plume » : ses éreintements étaient sans aigreur, et quoiqu’il eût massacré bon nombre de ses amis, il ne comptait aucun ennemi parmi eux. En toute autre matière que l’art, il n’était qu’un dépravateur élégant. Se mêlait-il à quelque discussion, il mettait son plus grand plaisir à la faire insensiblement dévier du thème choisi, et, par une série d’objections souvent spécieuses, il amenait son interlocuteur à s’appuyer enfin sur un argument contraire à