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même : mais n’est-ce pas de nous que nous les arrachons, les divines ? Elles ne vivaient qu’en nous, créées par nous à l’image de nos songes et de nos vœux, masquées de notre âme, belles pour nous seuls, et quand elles faillissent, quand elles s’en vont, jetant leur rôle, si nous pensons mourir, c’est que le meilleur de nous vient de se briser dans nos cœurs, et nous pleurons sur nous en croyant les pleurer.

Sous l’idole abolie, un spectre, difforme, grimaçant, Jeanne la vraie !

Cette vision lugubre se dressait avec une véracité si despotique, que Pierre se révolta enfin comme on se débat sous l’obsession d’un cauchemar : le monstre était trop palpable et trop proche ; l’homme ne voulait plus croire.

C’est ainsi : on assemble avec peine toutes les preuves de sa misère, on se tue à la rendre indéniable, vivante, présente, et quand la tâche est accomplie, on dit : « J’ai rêvé. »

Il se reprit donc à espérer, d’une foi irraisonnée et machinale ; elle s’éteignit bientôt, et un affaissement absolu s’empara de lui, définitivement ; sur toutes choses pesait l’inexorable condamnation : « Seul. »

Jeanne, pendant ce jour, avait fort médité.

Après sa brusque déclaration, elle était revenue à sa chambre, dans une crispation nerveuse que son coup de folie n’avait nullement calmée, au contraire.

Elle tremblait de tous ses membres, mais non de