Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa raison, remontait le cours des événements et lui déroulait la vieille erreur de tout son rêve.

Le cadavre de son bonheur ouvert devant lui, il le touchait avec stupeur, pareil à un amant qui assisterait à l’autopsie de la bien-aimée. Rien n’était plus de rien. Et, sans maudire personne, il voyait que l’homme est bien misérable, ballotté parmi les hasards de son impuissance et de ses instincts.

Cette Jeanne, cette méchante et pauvre malade, il la regardait maintenant vivre sous ses yeux dessillés, et se tordre, plus malheureuse encore que criminelle, dans les angoisses de son âme hantée. Il examinait avec effarement cet être nouveau qu’il n’avait jamais connu et qui venait de se révéler à lui.

Car il pensait à Georges moins qu’à Jeanne, comme si elle seule eût été perdue sans recours ; entre deux égales tortures d’amour et d’amitié, laquelle donc gémira le plus fort ? L’amour tient l’esprit et la chair.

Oui, c’est sur elle qu’il gémissait, la morte, sur elle plus que sur lui-même ; et plus il la sentait coupable, plus il la regrettait, parce qu’elle était morte davantage !

Il pensa commettre une profanation, à contempler ainsi les ruines de son culte. Il se sentait presque outrageant envers l’idole tant chérie, pour avoir osé la surprendre dans la nudité de son âme.

Voilà donc ce qu’elle était, hélas !

Lorsqu’on a mis quelque chose en elles et qu’on l’arrache, on souffre comme si on l’arrachait de soi--