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— Quelle misère, mon pauvre Georges, et qu’on a donc de peine à garder son bonheur ! Il faudrait vivre dans une île, loin de tout ; chercher un coin de terre où l’on s’enfermerait avec ceux que l’on aime. Car on ne peut user sa vie à effacer les hommes !

Cette confiance caressante faisait la plus cruelle affliction de Georges. Arsemar se méprit sur son air attristé :

— Vas-tu te désoler plus que moi d’un blasphème qui passe ? Oublions, je suis béni quand même !

Il prit le bras de Desreynes en s’inclinant vers lui : le frôlement de telles vilenies lui laissait un besoin de se laver le cœur dans l’expansion de ses rêves.

— Tu ne sais pas, toi, ce que c’est qu’un amour comme le mien, quel refuge et quelle douceur ! Tu te dépenses en amourettes et tu n’as pas connu le repos des tendresses profondes. C’est si bon, de donner sa vie ! On ne la possède jamais aussi bien qu’en la livrant tout entière. « Être deux, n’être qu’un ! » Sans mystères, sans énigmes, avoir deux cœurs comme un seul livre ouvert dont on voit en même temps les deux pages, et lire ensemble, lire jusqu’à la mort… Oui, tu diras que Merizette et moi avons des âmes dissemblables ; mais tout se fond dans l’amour, et je vaincrai la résistance de ses froideurs parce que j’ai plus de foi qu’elle n’a de doute. Si parfois quelques nuages brouillent notre ciel, comme aujourd’hui, la paix qu’on retrouve en rentrant n’en paraît que plus délicieuse…