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une maîtresse pour courir chez une autre. Ah, qu’on ne se moque pas de moi ! »

Mais sa jalousie fut de courte durée : Jeanne comprit que son amant aurait le cœur trop bouleversé pour se jouer si vite aux aventures d’inconstance : car elle croyait au chagrin dont tantôt souriait sa vanité, maintenant que sa vanité avait besoin d’y croire. La veillée, ce soir-là, se prolongea fort tard.

— Heureusement, dit Pierre, que le pays est sur : où Georges peut-il être ?

— Auprès de cette femme, va ! Tu es trop bon de te créer des soucis pour des gens qui, à cette heure, ne pensent guère à toi.

Elle aussi, pourtant, devenait anxieuse : elle ne doutait plus que son amant rodât sur les chemins, et pour la première fois elle imagina qu’il s’abandonnait à un grand désespoir : elle en fut sincèrement affectée, moins par sympathie pour lui que par crainte des misères qui viendraient gâter leurs amours. Puis, elle s’apitoya complaisamment sur une douleur dont elle se savait la cause : la pitié est tentante, quand l’orgueil nous la paye !

À minuit, Pierre ne pouvait encore se résoudre à regagner sa chambre. Jeanne vint s’asseoir sur ses genoux et le consola du mieux qu’elle put. L’inquiétude de son mari lui pesait au cœur : elle la vit comme un avertissement du remords futur, nécessaire ; elle eut l’épouvante, elle eut le regret, et ce fut, pour ce jour-là, le seul sentiment honnête dont, sans mélange, se troubla cet égoïsme.