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avançait, les yeux au sol, en regardant la pointe de ses pieds.

Sa propre condamnation à ne pas mourir lui paraissait une justice si sévère, un châtiment si cruel, qu’il en arriva presque à se considérer comme la plus pitoyable victime de son forfait. Il contemplait sa vie à venir avec désolation, il l’admirait dans son horreur, la détaillait dans toutes ses tortures, croyant ainsi se punir par avance ; mais, en réalité, son effort à souffrir n’était ici qu’un leurre d’égoïsme : l’egoïsme d’un homme en travail pour amplifier devant lui sa misère, et gémir sur lui-même, davantage encore.

La fatigue commençait à l’engourdir et son pas le berçait.

Il évolua le tableau de son retour à ce foyer où tant de rêves heureux avaient cherché asile : il se vit montant les marches du perron, et entrant sous ces murs dont le poids l’écrasait ; il étouffa ; il parut devant Pierre, et comme Adam devant le Seigneur, il voulut se cacher. Il sentit que le courage lui manquait, il lutta ; mais sa force se dissolvait de plus en plus, sa marche s’alentissait. Tout à coup, sans hésiter, il rebroussa. « Je ne peux pas ! C’est trop ! À quoi bon essayer, puisque je ne peux pas ! »

Alors, pour excuser sa lâcheté, il trouva des raisons spécieuses : une lettre dirait bien mieux ; son retour ne servirait à rien, car en présence de Pierre il n’oserait parler et garderait sur le bord de ses lèvres le poison du hideux secret ; puis, se retrouver