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charme d’être ensemble : la solitude sans l’isolement.

Arsemar songeait au départ de Desreynes, et sa méditation était un regret.

Merizette synthétisait quelques jugements psychologiques et s’octroyait des louanges : « Pierre est un rêveur qui suit son idée et ne voit pas la vie ; Georges, un promeneur qui voit la vie et ne suit pas son idée ; la seule tête de la maison, c’est moi. »

Quant à Desreynes, il échafaudait une série d’aphorismes sur les fluctuations de son individu : « La rectitude dans l’idée, n’est-ce point, en vérité, ce qui constitue l’homme ? Mais combien la possèdent, et ne serait-on pas un grand homme par cela seul qu’on est digne d’être un homme ? L’humanité se résume en quelques têtes : le reste s’appelle végétation… De quoi parlé-je ? Je suis une matière qui s’agite, et je n’ai point de moi, puisque j’ai chaque matin un autre moi !

— Mériterais-je, conclut-il à voix haute, de porter tous les jours le même nom ?

Jeanne le regarda avec ébahissement, et éclata de rire.

Ils étaient sur une roche taillée à pic : la rivière sonnait à leurs pieds.

— Oui, répondit Arsemar au bout d’un long instant : c’est toujours une eau nouvelle qui court dans le lit du fleuve.

— Ils sont fous, pensa Merizette.

— Mais nous lui donnons, reprit Pierre, le même