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— Je vous garde toujours rancune et je ne vous pardonnerai que si je réussis.

— Réussissez, je vous le souhaite, ayant réussi moi-même, et votre victoire ne donnera que plus de prix à la mienne.

— Qu’est-ce donc ? demanda Georges.

— Un rien, reprit le substitut. Figurez-vous, monsieur, qu’un certain Barraton fut soupçonné d’un vol commis dans les ateliers de monsieur le comte ; les preuves n’étaient rien moins que concluantes ; mais comme j’avais eu, récemment, le malheur de laisser acquitter, coup sur coup, deux prévenus (ce que n’aime pas M. l’avocat général), je fis tous mes efforts pour gagner cette cause. Comprenez ; mon avancement se jouait. J’eus quelque mal, en vérité, et quelque mérite à obtenir la condamnation. Monsieur le comte assistait aux débats, et lorsqu’il me vit, au parquet, félicité par mes collègues du succès de mon réquisitoire, lorsqu’il m’entendit avouer mes incertitudes sur la culpabilité et ma satisfaction sur l’issue finale, il me fit l’honneur d’entrer dans une grande colère… oh ! ne niez pas…

— Je ne le nie point, monsieur, et même…

— Que voulez-vous ? C’est le métier ! Chacun le sien. Ne sommes-nous pas l’avocat de la société ? C’est affaire entre nous et l’avocat du prévenu. Gagne qui peut ! L’un joue sa clientèle et l’autre son avancement, chacun son avenir.

Sur la vie des hommes, n’est-ce pas ?