Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du lit. Mon père était tout pâle, et je lui ai pardonné bien des choses, à ce moment-là. J’avais douze ans. L’homme pleurait et je le secouais par les épaules, de toutes mes forces ; je lui criais : « Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! » Et les commérages que ce fut, au sujet de cette terrible scène !

Jeanne regardait la terre ; elle ajouta froidement :

— Dans toutes les larmes que j’ai versées alors, il n’y en eut que bien peu pour ma mère.

Georges avait mis une main sur les siennes ; lui aussi, en ce moment, pardonnait bien des choses, et devant ce chagrin du mal, il se reprenait à croire au bien de l’avenir. Il n’imaginait pas que Jeanne voulût le tromper ; elle était sincère, en effet ; et bien que ses paupières ne fussent plus qu’à peine humides, parfois de grands hoquets secouaient sa poitrine et râlaient dans sa gorge.

D’une voix dolente, humble presque, elle rappela son renvoi du couvent, vers la fin de la treizième année, et sa vie nouvelle entre un père affairé et une tante impitoyable qui la tyrannisait, sous prétexte de « refréner les mauvais penchants ». Sa mère morte était tellement honnie, que la petite en arriva à l’absoudre de tout, et la vertu était prônée d’une si terrible façon qu’elle apparut comme un fantôme à la fois grotesque et cruel, capable de tuer ou d’abêtir toute vie, si l’on n’avait pas la force de s’en défendre. La jeune fille se consola dans les livres, en cachette.

Ce fut une telle jeunesse ; puis, le mariage : Pierre