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Et elle se posait la question si les Belges qui du jour cultivaient les immenses champs en France et qui couchaient la nuit dans des baraquements ; si nos mineurs qui passent leur vie sous terre, si nos dentellières, nos vachers, nos pêcheurs, nos manœuvriers, nos verriers, affichaient eux aussi une morgue ostensible…


Le Petit Belge au colosse : On ne passe pas !

Mais cette femme ne se laisserait pas persuader si facilement.

Et n’oubliait-elle pas, la vieille cousine, elle qui était si sévère en ses jugements, qu’elle avait également ses défauts ?

— Quiconque en est convaincu, peut espérer que notre pays sortira de cette guerre, pensa Berthe, en retournant chez elle. Mais pourquoi condamner de la sorte dès à présent. Tant de personnes souffrent et ressentent la douleur pénétrante de plaies fraîches et saignantes… Et d’autre part, n’est-ce pas la violation, la force brutale, l’infidélité d’une certaine puissance européenne, qui entraîna notre pays dans le cataclysme guerrier ?

Berthe rentra à Dixmude à la brune. Il y avait de l’effervescence en ville. On racontait que des soldats en retraite d’Anvers étaient déjà arrivés à Bruges et à Ostende.

La puissante forteresse serait-elle donc quand même tombée aux mains de l’ennemi ?



II.

Le Lieutenant.


Paul Verhoef était arrivé à Ostende avec ses hommes, où le train les avait transportés, harassés de fatigue.

Le lieutenant Verhoef se trouvait en ce moment sur la digue en compagnie d’un simple soldat, Antoine Deraedt, son ami, son frère, qui lui avait sauvé la vie à Waelhem.

Verhoef qui ne craignait pas le danger et qui aiguillonnait ses hommes à la charge, avait senti s’effleurer par l’aile de la mort.

Il se trouvait dans une tranchée, lorsqu’une bombe toucha la digue et molle produisit un éboulement et l’ensevelit. Le lieutenant était évanoui… et il aurait certes été asphyxié, si Antoine Deraedt n’était pas intervenu.

Le fidèle soldat, sans souci des obus et des balles qui sifflaient autour de lui, enleva fébrilement la terre et retira son chef inerte.

La mort guettait en ce lieu. Des hommes se mouraient en gémissant.

Deraedt chargea alors son lieutenant à dos et rampa par le champ, pendant que les balles sifflaient dans l’espace. Ô, sans ce fardeau, il aurait pu facilement se sauver ! Mais il ne voulait pas abandonner son chef, il vivrait ou mourrait avec lui et ne l’abandonnerait pas à son sort.

À maintes reprises il resta couché, haletant… Il portait son fusil par la lanière entre les dents. Les balles pleuvaient autour de lui, les obus labouraient le sol, mais Antoine Deraedt tendit ses muscles et continua à ramper, comme un reptile sur la terre charruée et lorsque la tentation le prit parfois de ne songer qu’à sa propre vie, il la refoulait bien vite, tout décidé à ne pas abandonner Verhoef.

Ce voyage dura un quart d’heure. La crainte le prit qu’il transportait peut-être un cadavre… Soit… il pourrait du moins soigner la sépulture de son chef. Il serra plus fort les mains du lieutenant dans une des siennes et s’aidant de l’autre, il rampa toujours plus loin de cet endroit horrible, où des frères d’armes mouraient dans des mares de sang.

Heureusement des secours approchaient. Un soldat cria à Deraedt :

— Le lieutenant est-il blessé ?

— Je ne sais, mais il est évanoui.

— Nous le porterons ensemble et debouts…

— Oui, mais on nous verra et nous allons être le point de mire…

— Que le diable les emporte… Nous serons d’autant plus vite hors de portée.

— En avant, alors…

Et ils filèrent… pendant que les balles sifflaient plus drues autour des deux soldats.