Là-bas, nos vaillants carabiniers cyclistes sont déjà au feu et défendent chèrement les positions qu’ils occupent : avec le concours des pionniers pontonniers cyclistes, ils ont fouillé la terre, approfondi les fossés, organisé les haies et les clôtures, barricadé les chemins et les routes, installé leurs fusils mitrailleurs aux endroits favorables et ils sont décidés à infliger un rude châtiment à l’envahisseur.
Dès qu’apparaissent les premiers escadrons de dragons et de hussards, la fusillade crépite ; l’ennemi, un instant, hésite ; puis, poussé par ses chefs, il se ressaisit et dirige sur nos petits cyclistes le feu de ses fusils, de ses mitrailleuses et de ses canons. Les lâches hobereaux qui les conduisent ou les poussent se font couvrir par d’inoffensifs habitants qu’ils traquent devant eux, mais les carabiniers, bien dissimulés, ajustent froidement chaque coup de fusil et, chaque fois, un casque à pointe, un colback ou un schapska roule à terre, et un homme vêtu de gris s’écroule dans les moissons. « Nos diables noirs » reculent pas à pas, défendent chaque sillon, chaque buisson.
Tout à coup, l’avalanche des escadrons allemands surgit, et, dans un galop furieux, se précipite sur les fantassins, qui reçoivent le choc sans sourciller, à coups de feu et de baïonnettes.
Les escadrons, entraînés par leur élan, poursuivent leur route et arrivent vers les lanciers belges, qui ont mis pied à terre, en arrière des cyclistes, et qui reçoivent la charge par un feu roulant à courte distance.
Le galop de ces masses hurlantes et cliquetantes fait vibrer le sol, les longues lances acérées et tenues en arrêt semblent devoir renverser tout sur leur passage ; mais, à la première décharge des carabines de nos lanciers, aidés puissamment par les quatre fusils mitrailleurs que dirigent avec sang-froid les lieutenants Scouvemont et Ouverleaux, et de loin par le feu de trois escadrons du Ier guides, placés à droite du champ de combat, la masse pirouette et se désagrège. Les premiers escadrons sont suivis d’autres. Cette deuxième charge est reçue comme la première, la troisième comme la seconde. Sept charges successives sont ainsi écrasées.
Le moment est tragique, quantité de chevaux errant à l’aventure, fous de terreur et de douleur, rouges de sang, galopent éperdus ; quelques-uns d’entre eux viennent bousculer les chevaux haut-le-pied de nos lanciers ; la panique se propage parmi ceux-ci et, à un moment, un immense troupeau dévale dans la plaine, au milieu des coups de fusil et des éclatements secs des shrapnells. Stoïques, nos soldats rechargent leurs armes et s’apprêtent à repousser de nouveaux assauts, jetant à peine un regard de commisération aux cadavres amis et ennemis qui les entourent, aux blessés qui hurlent leurs douleurs.
Les chefs de la cavalerie allemande, reconnaissant l’inutilité de l’action à cheval, font cesser les charges et n’envoient plus contre nous que des cavaliers pied à terre, destinés à agir par le feu de leurs carabines et soutenus par leurs mitrailleuses.
Ils s’avancent dans la plaine, rampant dans les blés, se terrant dans chaque repli du sol, s’abritant derrière chaque gerbe pour échapper au feu terrible de nos courageux et adroits cavaliers.
Déjà six régiments de dragons, de hussards et de cuirassiers sont engagés et avancent péniblement, quand le secours de deux bataillons de chasseurs leur est envoyé.
Notre artillerie, alors, entre en action. La première batterie à cheval, maniée par un chef énergique et sûr de lui-même, envoie avec précision ses obus et ses shrapnells sur les cavaliers et les fantassins qui inondent la plaine et, en même temps, elle couvre de ses obus brisants le pont de Haelen et le village où s’entassent alors de nouveaux régiments de cavalerie accourus pour renforcer et soutenir leurs camarades. Sous la poussée du nombre, nos cavaliers tiennent difficilement, mais ne reculent cependant pas d’une semelle et donnent à notre infanterie le temps d’arriver.
Il est 15 heures, quand enfin apparaissent les premiers secours : trois bataillons du 4e de ligne et deux du 24e, accompagnés d’un groupe d’artillerie, partis de Hauthem-Sainte-Marguerite à 10 heures et demie. Une partie de l’infanterie fut dirigée sur Velpen, pour de là gagner Haelen, l’autre fut envoyée en renfort des défenseurs de la ferme de l’Yserbeek ; l’artillerie soutint ces deux attaques ; malheureusement, des deux batteries qui prirent position au moulin de Loxbergen, une seule put ouvrir le feu sans être immédiatement contrebattue par l’artillerie allemande qui était en position au nord de Velpen.
Pendant que l’infanterie progressait vers Velpen et la ferme de l’Yserbeek, la 1re brigade de cavalerie était reformée à cheval et dirigée vers l’aile gauche du champ de bataille.
La 2e brigade, qui est au feu depuis sept longues heures, se met à la recherche de ses chevaux.
À 19 heures, la ferme de l’Yserbeek ou plutôt les ruines fumantes de cette ferme sont reprises par le bataillon Leconte, et le bataillon Rademaekers a reconquis Velpen.
Autour de nous, des chevaux aux membres mutilés, naseaux en sang, flancs déchirés, râlent dans les fossés de la route ou dans les champs ; d’autres galopent éperdument, ensanglantés et la selle ballottant entre les jambes.
Puis commença le lamentable cortège des blessés qui, l’œil hagard, se traînent péniblement vers l’arrière, tantôt seuls, courbés, marchant