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juges… Je t’abandonnerais parce que tu es mutilé… maintenant que mes soins te sont nécessaires, maintenant ; que je t’aime davantage.

Berthe attira son fiancé sur son sein et pendant que ses yeux rayonnaient d’un amour passionné, elle lui dit tendrement :

— Je t’en conjure, Paul, ne parle plus de la sorte… plus jamais, entends-tu… Car cela me chagrine beaucoup. Ne nous quittons plus, car Paul, je ne te l’ai pas encore dit… je n’ai plus que toi sur la terre…

— Et ton père, Berthe… qu’est-il arrivé ? demanda Paul en sursaut.

— Papa n’est plus…

Berthe lui raconta alors les événements terribles qu’elle vécut…

Oui, ces deux enfants de la Belgique martyre avaient recours l’un à l’autre ; on leur avait enlevé beaucoup, mais leur amour les réconfortait et les encourageait.

Berthe raconta aussi la mort d’Antoine Deraedt. Ils le pleurèrent comme un cher frère… Paul fit insérer des annonces pour rechercher les parents de son ami. Deux semaines plus tard, il reçut une lettre du père Deraedt. Il annonçait avoir retrouvé ses filles et habitait avec elles à Bourbourg ; mais quant à Antoine il ne parvenait pas à avoir de nouvelles en dépit de toutes ses recherches.

Délicatement le lieutenant lui apprit la triste vérité et lui indiqua la tombe, d’après les explications de Berthe, au cimetière de Furnes…

La réponse fut empreinte de deuil et de douleur… Les malheureux avaient perdu tous leurs biens à Eessen, ils avaient erré vers Bruges… ils avaient recherché leurs enfants… et ils n’auraient pourtant formulé aucune plainte si leur fils leur aurait été rendu.

Mais, cette fois, c’était le sacrifice suprême.

Antoine avait succombé, Paul était mutilé, Berthe était moralement anéantie. Voilà ce que la guerre réserva à ces infortunés…

Et la guerre sévissait toujours… La Belgique et la France tremblaient sous l’effort de l’airain et s’abreuvaient du sang des héros pendant que la destruction et la dévastation continuaient leur œuvre lamentable…

En une missive, l’oncle Charles dit qu’Ypres serait bientôt anéantie. Il s’y était rendu et avait trouvé sa maison en ruines… Et les Allemands bombardaient davantage.

Et quel pourrait bien être l’aspect du front est ?…

La houle de la misère et du deuil roulait sur toute l’Europe.



XVI.

Une fin qui n’en est pas…


Berthe Lievens habitait une petite villa aux environs de Folkestone. La cousine Mélanie et Pélagie s’étaient également amenées et jouissaient de l’hospitalité d’une dame anglaise qui, ainsi que beaucoup de ses compatriotes, manifestait pratiquement sa sympathie pour la Belgique-martyre.

Paul Verhoef résidait dans la même localité où il avait loué une chambre dans une maison bourgeoise.

Il était le point de mire des passants, lorsqu’il se promenait aidé de ses béquilles, en compagnie de la belle et svelte jeune fille.

Berthe avait été malade. Elle avait courageusement résisté aux événements jusqu’alors, mais la crise était néanmoins survenue, et la jeune fille dut s’aliter pendant plusieurs semaines à l’hôpital.

Elle était rétablie maintenant. Elle voulait se dévouer pour son peuple ; mais Paul l’engagea à recouvrer d’abord ses forces ; elle avait trop souffert…

Toutes les personnes de la localité connaissaient l’histoire de ces jeunes gens… Mais l’amour qui les unissait, cet amour scellé par la douleur, était au delà de leur conception.

Entre-temps les fiancés ne pouvaient élaborer aucun plan. La guerre sévissait toujours. Il fallait patienter.

Paul et Berthe se promenaient beaucoup et c’est alors qu’ils préféraient parler du père Lievens, de la vieille maison à Dixmude, de la patrie souffrante… bref, d’une foule de choses qui leur étaient chères ; du régiment qui se battait toujours bravement, d’amis et de frères d’armes dont les noms figuraient sur la liste des morts que Verhoef lisait…

Certain soir, en rentrant à Folkestone et longeant un ruisseau, ils entendirent le bruissement des frêles roseaux…

— Quelle est donc votre triste chanson, sveltes et graciles roseaux, qui ployez au moindre vent et qui vous redressez en bruissant, dit Berthe.

Ils se rappelèrent soudain leurs promenades à l’Yser, au temps de la paix, à Stuivekenskerke, à Lampernisse, à tous ces riants petits villages qui n’étaient plus que ruines.

Berthe se remémora son dernier voyage à Furnes en bicyclette… C’est en ce moment d’ailleurs qu’elle avait fait cette réflexion au sujet des roseaux.


Paul ajouta :

Oh, chers roseaux bruissants,
Qui donc ne vous regarde pas