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Le pays de l’Yser en temps de guerre.

— Mon Dieu, si loin… en Angleterre !… Oh, que je suis heureuse qu’il est encore en vie… Pourrons-nous partir aujourd’hui ?…

— Non, pas avant demain…

— Il faut encore attendre ?… Et quelle est la nature de sa blessure ?… Dites-moi tout ce que vous savez, mon oncle… vous savez que je suis forte…

— À la jambe…

— Gravement ?… Oh, vous me taisez quelque chose, je le vois… Dites-moi tout… est-il amputé… oh, je vous en pris, répondez-moi sans détours, je supporterai le coup…

— Et bien, oui, Berthe… il est amputé de la jambe droite, mais Paul est actuellement en bonne santé, c’est la vérité, je le jure…

La jeune fille se couvrit la figure de ses mains et pleura passionnément…

— Oh, malheur, malheur, pourquoi t’acharnes-tu sur nous ? Tu m’as enlevé mon père, cette fois tu mutiles mon fiancé, tu en fais un infirme pour la vie ! Oh, Paul… pauvre Paul… comme tu as dû souffrir !… Mais tu vis encore… N’y a-t-il donc pas moyen de partir aujourd’hui, mon oncle ?… Je voudrais tant le voir ! Il faut que je le soigne, que je lui dise que je l’aime davantage… Maintenant qu’il est si malheureux. Mon oncle… ?!…

— C’est impossible, Berthe ! Il nous faut des passe-ports…

— Des passe-ports pour se rendre auprès d’un mutilé, d’un invalide… d’un héros qui se sacrifia pour la patrie ? Mon oncle, tâchons de partir sans que nous ayons à remplir toutes ces formalités, je dirai les malheurs qui nous frappent, je les persuaderai !

— Réellement, Berthe, c’est impossible…

La douleur de la jeune fille fut soumise à une rude épreuve… Il fallut attendre pendant deux jours…

Beaucoup d’autres personnes étaient inscrites, avant elle… L’oncle Charles voulait l’accompagner, mais il courait le danger de ne plus pouvoir rejoindre la France, car l’autorité militaire entravait autant que possible la circulation des civils… Berthe l’engagea à rester ainsi que tante Julie… ils avaient d’ailleurs des intérêts à sauvegarder à Ypres et en France, où Léon était…

Celle, qui avait aidé à enterrer son père, qui avait enduré tant de souffrances, ne fléchirait pas. Elle se rendait d’ailleurs auprès de son fiancé.



XV.

La Rencontre.


Paul Verhoef avait fait insérer une annonce dans plusieurs journaux français… Son appel à Berthe. Il attendait maintenant à Folkestone. Sa patience fut soumise à une longue et rude épreuve, car l’inquiétude et l’angoisse le tenaillaient sans cesse.

On vint appeler le lieutenant. S’aidant de béquilles il gagna l’antichambre.

Berthe l’attendait les bras ouverts.

— Paul… mon pauvre Paul ! sanglota-t-elle. Je te revois enfin.

Et lui qui avait affronté la mort avec calme, lui le héros de l’Yser, pleurait maintenant comme un enfant.

— Voici comme tu me revois, dit-il en essuyant ses larmes qui débordaient sans cesse… Oh, Berthe, j’eus préféré que tu ne me revis jamais.

— Paul ! clama-t-elle…

— Je dois renoncer à toi. Je suis un mutilé, une épave. N’eut-il pas été mieux que je fusse mort ?

— Mais, Paul, tu blasphèmes… Paul, tu ne m’aimes donc plus ?

— Oh, Berthe, t’aimer… Mais regarde-moi, donc…

— Eh bien, je te regarde, cher héros, cher martyr du devoir… Et c’est ainsi que tu me