Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 70 —

— Vivent les Belges ! hurlait-on.

Des hommes, des femmes, des enfants demandaient « un petit souvenir, quelque chose qui vient des boches, un bouton, une cartouche… »

Des gens pleuraient.

Verhoef fut tout à la fois ému et gêné de cette manifestation douloureuse…

C’était vrai qu’il n’était plus qu’une épave humaine, mais il souffrait de ce qu’on le désignât avec commisération et qu’on le plaignit ainsi ouvertement.

— Oh, voyez donc ce malheureux… jambe amputée…

Il en eut mal au cœur…

Il était un infortuné invalide, un malheureux errant, il avait perdu ses forces, là-bas, au sanglant Yser, mais fallait-il donc crier son infirmité à tous les vents, la lui rappeler si cruellement ?

Le lieutenant était tout heureux lorsque le train partit…

On arriva bientôt à Dunkerque…

Le train contourna la ville. Verhoef jeta un coup d’œil succinct sur la forteresse. Elle trônait en un calme remarquable. Le beffroi surplombait fier et robuste la multitude des maisons, comme le symbole de la liberté… Et autour de la ville, les champs verdâtres qui s’étendaient jusqu’aux dunes blanches de Malo, s’étalaient paisiblement…

Mais dans les plaines de Nieuport et de Dixmude, aux rives de l’Yser et au remblai de la voie ferrée, la mort labourait de sa faulx…, le sang coulait à flots autour de Dunkerque… et les ambulances regorgeaient de blessés…

À Dunkerque on goûtait toujours un calme rustique, mais c’était un calme trompeur.

Verhoef remarqua une activité intense à l’intérieur et à l’extérieur de la gare. Les civils étaient friands de nouvelles relatives à la bataille. La marche des Allemands était-elle arrêtée ? Dunkerque était-elle menacée ? L’ennemi percerait-il ?

Des milliers de personnes posaient ces questions, espérant recevoir une réponse favorable, mais elle tardait toujours. Et pendant ce temps, de longues files de croyants se rendaient à la chapelle de Notre-Dame-aux-Dunes, où les ruraux de la Flandre française se rendaient annuellement en procession. On y priait maintenant pour un résultat favorable, pour le maintien de la forteresse… pour la défaite de l’ennemi redouté…

Des médecins montèrent dans le train. Les militaires dont les blessures ne présentaient aucune gravité durent descendre… Ceux qui savaient marcher devaient continuer le voyage à pied. Le chargement du train devint plus lugubre encore. De nouveaux blessés, empaquetés dans de la Charpie, furent hissés dans les wagons. C’était pour la plupart des jeunes gens à face pâle où de grands yeux cernés brillaient d’un éclat fiévreux… ils pleuraient et gémissaient.

— Ne serait-il pas préférable que nous fûmes tous morts ! murmura Verhoef.

Et ainsi qu’à Stalhille, avant que le drame cruel de l’Yser se déroula, il se remémora les vers de l’auteur :

La terre s’ouvre et se ferme,
La terre se bombe et descend,
Lorsque le vieux fossoyeur terne,
Y dépose un cercueil… tremblant.

N’étaient-ils pas les plus heureux ceux qui reposaient dans la terre, pour laquelle ils étaient tombés ?

Il n’avait connu ni frère, ni sœur, et ses parents étaient morts depuis longtemps…

Mais Berthe !

Son cœur l’appelait en pleurant.

Berthe !…

Mais pour elle aussi, n’eut-il pas été préférable qu’il fût mort ?

La terre s’ouvre et se ferme,
La terre se bombe et descend,
Verte, bientôt elle s’afferme,
Se nivelle en un aspect riant.

Se nivelle tout verte… la douleur de Berthe se dissiperait, disparaîtrait…

Et la terre se bombe et s’aplane,
Elle s’ouvre et se ferme souvent,
Et du doigt on désigne une âme
Qu’on enterra au son du canon bruyant.

Mais la terre descend mollement,
La terre se ferme à nouveau,
Pendant que l’herbe d’un geste lent
Recouvre la tombe du héros…

L’herbe qui efface… Ces tombes à Liége et à Tirlemont. Verhoef en avait tant vu creuser. L’herbe les recouvrait maintenant…

— N’y reposent-ils pas en paix, les héros tombés au champ d’honneur, ne sont-ils pas moins à plaindre que les invalides, qui s’avancent en rampant et qui errent en déshérités de la terre ?

Tel était l’état d’esprit du pauvre mutilé que le train transportait par les vertes plaines de la Flandre française.

Au nouvel arrêt, à Bourbourg, les environs de la gare étaient noirs de monde.

Le lieutenant détourna la tête… Oh, pourvu, que la foule ne recommença pas ici à manifester ses complaintes…

— Je préférerais être mort, soupirait-il, pendant que des larmes lui mouillaient les joues.

— Vivent les Belges ! hurlait-on au dehors.

— Que diront mes enfants, mes mioches,