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D’après ce que nous, apprenons, un revirement est imminent, parce que de puissantes tentatives sont entreprises pour refouler les Allemands.

À plus tard, donc, et dans l’espoir de nous revoir bientôt.

Une autre lettre cite des noms d’habitants de Dixmude malades et infirmes, qui durent s’enfuir et qui succombèrent à Furnes ou dans quelque village des environs. Le voyage cruel, le désespoir quant à leurs maisons détruites, l’angoisse… toutes les douleurs morales avaient écourté leur vie.

Mon cœur déborde, lorsque je songe à Dixmude. La petite ville est anéantie et ne sera jamais plus restaurée. L’art et l’antiquité ne se laissent pas restaurer.



XII.

Coûte que Coûte.


L’ancien petit village de Pervyse offrait un triste coup d’œil.

On n’y voyait plus que des maisons délabrées et détruites et un amas de ruines. La tour de l’église était inclinée et très mutilée, le temple même était miné et des massifs murs du cloître ne restaient plus qu’une multitude de gigantesques brèches.

Les morts eux-mêmes étaient troublés en leur repos. La mitraille avait éventré les tombes au cimetière où gisaient en un amas confus, des ossements, des crânes, des débris de cercueils, des pierres tumélaires et des cloisons métalliques tordues…

Le lieutenant Verhoef vit la ruine du village qui lui était si familier et cette destruction fut pour lui le symbole de la violation de la patrie. Tout ce qu’il aimait et adorait était en ruines ou vacillait pour s’effondrer dans quelques instants !

Le canon tonnait sans trêve et continuait son œuvre dévastatrice.

— Et Berthe qui ne donne pas signe de vie ! dit-il anxieusement.

C’était toujours la même incertitude poignante…

Où était sa fiancée ? Lievens s’était-il décidé à fuir ? Ou bien défiait-il toujours le danger avec Berthe, par idolâtrie pour ses antiquités ?

Le lieutenant n’avait pourtant pas la latitude de songer longtemps à ces choses.

Il fallait avoir l’œil et l’oreille au guet dans cette lutte formidable.

Le centre des positions belges était à nouveau vivement bombardé.

C’était une pluie continue d’obus et de grenades… une pluie de feu… Les hommes cherchaient à s’abriter un peu à la bonne fortune… Les éboulements étaient fréquents dans les tranchées et les ensevelis déployaient toute leur énergie pour sortir des hécatombes.

Tout à coup, Verhoef vit un civil, un vieillard qui courait fou de terreur sous la mitraille…

— Par ici ! cria le lieutenant effrayé.

Mais le vieillard n’entendit pas… Il courait les bras en l’air et s’enfonça soudain dans un fossé…

L’eau gicla…

Nul ne put sauver l’infortuné…

Courir au fossé, était courir à la mort…

Le vieillard ne désirait pourtant pas qu’on le secourût. C’était un habitant de Schoorbakke qui n’avait pas voulu fuir… Transi de désespoir et d’épouvante, fou de terreur, il mettait une fin à sa vie…

Les Allemands entreprirent soudain une nouvelle attaque. Nieuport était tellement bombardée que les convois d’ambulances ne savaient plus circuler en ville.

Les Allemands assaillaient les tranchées belges de St-Georges.

Ces mouvements n’avaient pourtant d’autre but que de soustraire le centre à l’attention des nôtres.

Le violent bombardement dans la direction de Pervyse que nous signalons ci haut refoula entretemps les Alliés, et les Allemands profitèrent de cette retraite pour lancer de l’infanterie vers le remblai du chemin de fer. Ils gravirent la côte, derrière laquelle se trouvaient des tireurs d’élite belges et algériens.

— Nous nous rendons ! criaient les Allemands.

Mais les Algériens et les Belges n’ajoutant aucune foi à ce désir, tiraient sans cesser et peu d’ennemis échappèrent.

On trouva les fusils chargés à côté des cadavres.

De nouvelles troupes tentèrent un deuxième assaut.

Le remblai était illuminé par une mer de feu et de flammes. Les nôtres eurent un moment d’hésitation.

C’était un feu infernal. Poussant des cris de douleur et de détresse, des soldats roulaient au bas de la côte… cependant qu’une grêle de grenades s’abattait avec fureur. Mais les officiers virent le danger. Le rempart devait être maintenu… Si on cédait…

Il fallait éviter la catastrophe à tout prix. Le retranchement devait rester nôtre.

Verhoef aussi concevait le danger de la situation.

— Coûte que coûte ! criait il. Aucun Allemand ne peut franchir le remblai… Les voilà… Défendez votre sol, défendez la patrie ! C’est notre dernier recoin ! À mort les intrus !…

Il était debout, faisant fi du danger, ne songeant qu’au devoir.