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breux les habitants de Dixmude qui vécurent un douloureux calvaire.

« La fuite en Égypte » c’est ainsi que notre peuple dénomme l’exode de la population des zones dangereuses.

L’« histoire sainte » nous a toujours impressionnés ; on l’apprenait à l’école, on en lut des commentaires dans des livres, on la voyait dans les églises représentée par des tableaux de maîtres belges.

Saint Joseph et la Vierge Marie, évitant le danger et fuyant en Égypte.

Et on en faisait une comparaison en voyant le peuple belge fuir le sol natal, le sol, qui les vit naître, le sol qui les berça, le sol qui les nourrit, vers la Hollande, l’Angleterre ou les belles et superbes régions hospitalières de la France.

C’est ainsi, que l’expression « La fuite en Égypte » s’est vulgarisée.

Nous avons été témoins de cet exode dans les bourgs, hameaux et villages du Limbourg, lorsqu’en août les Allemands poursuivaient leur marche en avant, après avoir conquis la Cité ardente qui vient d’être ornée de la Légion d’honneur de la part de notre sœur la France ; nous nous trouvions dans le dernier train bondé de fuyards, qui quitta la malheureuse ville de Louvain. Qui donc n’a pas vu la fuite d’Anvers bombardé ?

Mais à Dixmude la fuite était encore plus poignante et ils étaient légion ceux qui s’obstinaient à rester sur place, parmi leurs maisons et leurs biens.

Une lettre représente mollement la douleur de la petite ville martyre.

J’ai tenu à la reproduire… C’est une page de l’histoire douloureuse de notre peuple, c’est une voix qui émane de la patrie sanguinolante.

L’auteur de la missive habitait à Eessen, à 2 Km. de Dixmude.

Elle était libellée en ces termes :

« Le 15 octobre s’amenèrent chez moi deux chasseurs auxquels je servis de la bière. Ils me dirent que la situation était critique et que le meilleur parti que nous avions à prendre était de suivre les troupes en retraite. Je voulus aller à Vladsloo, mais les soldats belges m’interdirent le passage. (Vladsloo est situé un peu plus à l’Est.)

« Qu’allez-vous faire, là-bas ? demandèrent-ils.

« Vous courez dans les bras de l’ennemi.

Ils ne laissèrent pourtant passer aucun civil, de crainte que les Allemands auraient pu contraindre ces gens à leur fournir des renseignements concernant nos troupes.

Nous dûmes prendre la direction de Dixmude ; les habitants de Vladsloo furent également évacués dans cette direction. Je voulais me rendre à Vladsloo parce que mon père habitait à proximité de cette commune. Je n’ai encore aucune nouvelle jusqu’à ce jour de mon père, mes sœurs et des autres membres de ma famille. L’incertitude est pénible mais on s’exerce à la patience.

Je suis donc parti à Dixmude avec ma femme c’est à dire à environ une demie heure de ma maison et nous estimions être suffisamment éloignés pour nous trouver à l’abri.

Le lendemain, les Allemands commencèrent le bombardement de Dixmude. Nous nous abritâmes ainsi qu’une douzaine de personnes dans les caves voûtées de la brasserie de la veuve Van Hille.

Nous y restâmes, car nous reçûmes de bonnes nouvelles. On racontait que les Allemands avaient été refoulés.

Le dimanche s’écoula relativement calme ; le lundi on se battait à Nieuport, et plus près, à Keyem et à Beerst. Par le soupirail nous pûmes voir l’incendie de l’église de Beerst, celui du moulin et de la ferme de M. Ch. Biervliet. Beaucoup d’habitants de cette commune s’amenèrent alors à Dixmude ; d’autres restèrent et peu de temps plus tard les Allemands les expédièrent vers l’Est. Ces fuyards nous racontèrent que les Allemands étaient refoulés — ainsi que nous en avions déjà reçu avis — ce qui fortifia notre espoir.

Ce fut en vain… car le mardi matin le bombardement recommença plus intense ; ce fut un ouragan de fer qui s’abattit avec une rage féroce ; c’était un bourdonnement, un hurlement qui nous faisait supposer, que la fin du monde s’annonçait. Nous étions toujours tapis dans la cave.

Vers le soir, la brasserie de M. Rabau, la maison des notaires Pollet et Van Bloere, celle de M. C. Damman tué par un obus depuis samedi, flambaient.

Le mercredi : l’église et presque toutes les maisons environnantes, la moitié de la rue Kieken, (Bellevue, le magasin de ferraille Wyllie, Quantannens, E. de Schoecht, Ch. Vermeersch) ainsi que la lignée de maisons de Cocarde jusqu’à chez MM. Cappoens, devinrent la proie des flammes !

Le jeudi, le feu était à nouveau de notre côté. La maison de M. Gustave De Breyne fut d’abord incendiée par un obus, puis ce fut au tour de l’auberge du « Perroquet » et de la rangée de maisons allant depuis celle de M. Van Damma jusqu’à et y compris celle du père Boury, qui y perdit tous ses biens. Il est impossible de décrire l’impression qu’on ressent ! C’est horrible !

Être ainsi accroupis dans une cave et observer le brasier de toute une ville en flammes, pendant que le canon hurle, que les obus et les bombes tombent comme de la grêle avec un fracas épouvantable, qu’on entend la fureur des flammes et l’effondrement des maisons et qu’on respire sans cesse cet air de feu, on se croit réellement transporté dans l’enfer de Dante !

Il n’y eut aucune trêve, aucune intermittence, dans le bombardement de Dixmude.

On ne pourrait croire quel lamentable aspect présente actuellement la gentille petite ville de jadis.