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la ville, étaient blottis dans les caves, car les obus éclataient sans interruption dans la ville, effondrant des toits et abattant des murs, mais ceux qui soignaient le mort n’y prêtaient pas attention, n’y songeaient pas, restaient insouciants au milieu du danger, défiant la mort sans le savoir.

Ils transportèrent le paquet macabre dans la maison.

Le prêtre priait à haute voix. Berthe pleurait. Elle n’aurait pu proférer aucune prière, mais elle était heureuse que le religieux ne tarissait pas.

— Il vous faudra quitter la ville, mademoiselle, dit-il. Avez-vous de la famille aux environs ?

— Quitter la ville !…

— Certainement.

— Et papa… Ah, oui, je ne dois plus rester pour lui. Oh, papa, si tu m’avais écoutée ! Pourquoi n’as-tu pas fui… Tes antiquités !… Mais non, papa, je ne t’en fais aucun grief… je n’en parlerai même plus, tu fus toujours si bon, si noble. Non, je ne peux pas t’abandonner. Laissez-moi rester, je préfère rejoindre mon père dans la tombe…

— Et le lieutenant Verhoef, dit doucement le religieux.

— Oh, mon Dieu, oui Paul… oh, Paul, oh, s’il était ici !

— Songez à lui, et quittez la ville ! Je vous accompagnerai tantôt par delà l’Yser.

— Et papa ?

— Nous enterrerons l’infortuné Monsieur Lievens…

— Je partirai, mais pas encore maintenant… laissez-moi encore un peu ici, ne l’enterrons pas si vite… non, mon père…, attendons encore un peu…

— Et si vous subissez le même sort… Avez-vous songé au lieutenant Verhoef.

Du coup, Berthe, désirait ardemment voir son fiancé, goûter ses consolations, son aide, son amour.

Son père était mort, Pélagie s’était enfuie… Maintenant elle était seule et abandonnée…

Il ne lui restait plus que Paul.

Il était lui aussi, au milieu du danger, la mort pouvait le frapper, un sort semblable à celui qui faucha son père, pouvait lui être réservé…

Elle voulait le voir maintenant, lui parler… entendre sa voix, le regarder dans les yeux… goûter ses consolations.

Elle se sentait si seule, si abandonnée.

— Oui, je partirai, mon père, dit vivement Berthe. Mais enterrons-le d’abord.

— Je remplirai cette tâche.

— Accomplissons la, ensemble, mon père.

— Mais…

— Ne craignez rien, je n’ai pas peur… préparez la fosse dans le jardin… oui, dans le jardin où il se plaisait tant, où il aimait d’écouter religieusement le son des cloches. Oh, mon pauvre papa… Creusez toujours, mon père, je prierai dans l’entretemps… Voudriez-vous aussi soigner pour un cercueil ? Je resterai pendant ce temps là avec papa.

— Mais, si vous partiez immédiatement.

— Oh, ne me chassez pas, mon père. Je ferai mon devoir jusqu’au bout… il fut toujours si bon pour moi. Creusez la fosse et laissez-moi prier.

Étonné, le religieux s’éloigna.

Il chercha une bêche, traça une croix et signa la terre.

Le canon tonnait.

Berthe priait… Elle bredouillait plutôt ; elle pleurait, elle citait le nom de son fiancé. Elle appelait son père, retirait une couple d’épingles du drap mortuaire, regardait la figure blême et l’embrassait…

Elle se laissa alors tomber sur un canapé… et pleura abondamment.

Parfois elle se relevait et criait dans son désespoir :

— C’est trop cruel, c’est terrible !… Ce n’est pas vrai. C’est un songe, un cauchemar… Papa, papa, où es-tu ?…

Mais soudain elle voyait le mort et elle se couvrait alors la figure des mains. Berthe alla chercher de l’eau bénite dans sa chambre, elle en aspergea le drap funèbre et la figure du défunt à l’aide d’un rameau de buis, après quoi elle s’agenouilla et pria en pleurant…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le religieux travaillait d’arrache-pied dans le jardin.

Le canon tonnait toujours et les bombes continuaient leur œuvre de destruction.

La fosse fut bientôt suffisamment spacieuse.

L’ecclésiastique alla aussitôt en ville, chez un croque-mort pour y acheter un cercueil… s’il y en avait encore…

Un quart d’heure plus tard, il rentrait accompagné d’un civil qui l’aidait à porter la caisse.

On ne voyait aucun badaud.

La ville n’était pourtant pas déserte ; il y avait encore des habitants blottis dans les caves, ignorants du drame qui venait de se passer ici, mais exposés aux mêmes dangers.

Qui donc pouvait prétendre être à l’abri de tout événement fatal en ce moment, où la Mort fauchait sans interruption ?

Les hommes déposèrent le cercueil dans le corridor…

La maison tremblait…

— Faut-il encore aider ? demanda l’homme qui accompagnait le religieux.

— Vous m’obligeriez en me donnant un coup de main…

Berthe était agenouillée près du mort…

— Mademoiselle, dit l’ecclésiastique tout ému, allez-vous reposer plutôt… L’ami et moi nous