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Ces rumeurs, malheureusement, n’étaient que trop fondées. Dans la région qui s’étend au nord-ouest de Dixmude, la situation, en effet, était devenue d’une gravité extrême : La tête du pont, qui avait si vaillamment défiée, les assauts les plus furibonds, se trouvait en péril d’être tournée par le nord. Car, au delà de Tervaete, poussant vers le chemin de fer, les Allemands, précédés d’un ouragan de feu, accentuaient leur progression.

Mais ils devaient se heurter jusqu’au bout à l’énergie surhumaine des défenseurs. Alors que les événements prenaient une tournure à peu près désespérée, le commandement résolut, coûte que coûte, d’établir un barrage humain et d’y sacrifier nos dernières forces, avant de livrer à l’ennemi le passage qu’il cherchait à s’ouvrir.

Toutes les réserves encore disponibles à l’ouest de Dixmude furent précipitées vers le danger. On allait tenter, par une contre-attaque, sinon de refouler complètement l’adversaire, — ce qui dès l’abord s’avérait impossible, — au moins de briser suffisamment son effort pour écarter la terrible menace née de ses succès antérieurs.

Et c’est pourquoi, au lieu de jouir du repos qu’on avait cru pouvoir leur promettre, les deux bataillons de chasseurs exténués retournèrent, ce matin du 24 octobre, à l’ardente bataille qui traversait la plus angoissante des crises. L’ordre leur fut donné de se porter sur Oud Stuyvekenskerke, dont la grosse tour carrée de l’église s’érigeait là bas vers le ciel, comme un signe de ralliement ; puis, arrivés là, de pousser vers les fermes Den Toren et Vandewoude qui, sur la rive gauche de l’Yser, à l’ouest de la borne 14, servaient de points d’appui aux attaques allemandes.

Le major Leblanc était avisé en même temps que des troupes du 1er  de ligne, ainsi que des fusiliers marins, soutiendraient l’action des chasseurs sur leur droite, et que nos canons prépareraient le mouvement. Pour le reste, l’ordre enjoignait d’avancer coûte que coûte et sans perdre un moment.

La compagnie du capitaine Favier, détachée en pointe de garde, se mit en route à l’instant même. Et telle était chez nos hommes la volonté d’en finir avec l’Allemand exécré, qu’à l’annonce des nouveaux sacrifices exigés d’eux, une sorte de frémissement d’orgueil parcourut les rangs des chasseurs. « Les Boches nous croyaient morts sans doute », dira l’un d’eux, « il faudra bien alors qu’ils nous tuent une deuxième fois ! »

En bon ordre et sans encombre, les deux bataillons gagnèrent d’abord le carrefour « Lettenberg Cabaret », où le chemin d’Oostkerke croise la grand’route de Dixmude à Pervyse. Mais dès ce moment, ils furent assaillis par le feu terrible de l’artillerie lourde ennemie.

Placées à l’ouest de Beerst, hors de l’atteinte de nos vaillants petits canons, les grosses pièces allemandes déversaient leurs infernales « marmites » dans la zone avoisinant la vole ferrée, où les explosions se succédaient sans discontinuer, dans l’épouvantable fracas d’un volcan en éruption. Un formidable barrage de feu s’élevait devant nos chasseurs, créant une zone de morts qu’il fallait pourtant franchir à tout prix. Et le major Leblanc, après un bref serrement de cœur à l’idée des dangers qu’allaient courir ses hommes, leur intima l’ordre de passer.

Ayant à sa tête le lieutenant Garnir, un brave dont l’âme s’était trempée au feu de tant de combats, le peloton d’éclaireurs de la compagnie Favier franchit sans sourciller le passage à niveau, et, déployé en tirailleurs, commença de progresser vers Oud-Stuyvekenskerke. La fusillade ennemie de suite l’accueillit. Le mouvement pourtant ne se ralentit point. Derrière les éclaireurs suivaient, du reste, les deux autres pelotons que le capitaine Favier, imperturbable et souriant, pour inspirer confiance à ses hommes, poussait par bonds nerveux sous la mitraille assassine.

Les autres compagnies, un peu anxieuses, certes, mais farouchement résolues, progressèrent à leur tour, avançant d’abord comme à la manœuvre, avec un calme émouvant, dans la formation prescrite pour marcher sous le feu de l’artillerie. Mais il pleuvait tant d’obus, en rafales si denses et si pressées, qu’il fut impossible bientôt de conserver au mouvement une régularité quelconque. De partout, au surplus, crépitait maintenant une fusillade enragée, au milieu de laquelle l’oreille exercée des chasseurs distinguait l’intolérable et mortel tapotement des mitrailleuses.