Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 44 —

forces, fléchirent. Une colonne d’assaut se rua aussitôt par la brèche ouverte, sans qu’à droite ou à gauche on lâchât pied.

À l’instant même du reste, intervint un renfort particulièrement opportun. C’était une compagnie de fusiliers marins venant relever celle qui combattait aux côtés des chasseurs. Baïonnette au canon, le fusil bien serré dans leurs poings robustes, les braves marins français se précipitèrent dans la mêlée, encourageant nos hommes de leurs voix mâles et fermes : « Tenez bon, les Belges ! Nous sommes là ! On va leur entrer dans le lard ! »

Ils y entrèrent, en effet, de si rude façon que l’ennemi de suite chancela. Et comme à ce moment accourait une réserve de chasseurs hâtivement rassemblée par le commandant Dupuis, Français et Belges d’un magnifique élan s’élancèrent à la contre-attaque, bousculant les Allemands qui, pris de terreur, ne songeaient plus qu’à fuir. La tranchée perdue fut reconquise. Avant l’aurore, l’ennemi avait disparu, et tout bruit de bataille s’était évanoui.

Le spectacle révélé par les premières lueurs de l’aube blafarde disait éloquemment la farouche ardeur de la sanglante rencontre.

Dans ce qui subsistait de nos tranchées régnait le plus tragique désordre. Confondus par la lutte mouvementée, mitrailleurs du 12e de ligne, fusiliers marins et chasseurs s’y trouvaient réunis pêle-mêle, à peine reconnaissables sous leurs uniformes déchirés, maculés de sang et de boue. Aux mains de ces braves, les lebels français, les mausers belges, voire des fusils allemands, formaient l’armement le plus disparate ; car tout ce qu’on avait pu saisir fut trouvé bon pour remplacer les armes mises hors d’usage par la violence du combat et repousser l’adversaire. Au bout des fusils, des baïonnettes brisées ou tordues parlaient de corps à corps féroces. Des tronçons d’armes encombraient les tranchées parmi nos morts et blessés, dont le nombre, hélas ! était grand.

Mais rien ne peut décrire l’aspect du terrain parcouru par les attaques allemandes, qu’un cyclone semblait avoir dévasté. C’est par monceaux, se confondant avec le sol dans leurs vêtements couleur de terre, que cadavres et blessés ennemis gisaient devant nos lignes si ardemment défendues.

Chose assurément stupéfiante, on en découvrit aussi par dizaines, derrière nos propres lignes, dans de petites tranchées qui avaient dû être amorcées pendant la nuit, au moment de la percée momentanée.

Un sentiment d’horreur et de pitié saisit nos chasseurs à la vue de ces ravages. Et spontanément, durant que les uns s’occupaient de secourir les nôtres, d’autres sortirent des tranchées pour ramener vers l’arrière les corps ennemis ensanglantés.

« On ne peut tout de même pas les laisser crever comme des chiens », dira le chasseur Baudour ; et, à lui seul, il rapportera dans nos lignes 49 blessés allemands. Il ne cessera, mécontent, que sur l’ordre formel de son chef, interdisant à ce brave d’exposer davantage sa vie.

Car l’ennemi, lui, est naturellement incapable de répondre à tant de sublime dévouement, autrement que par une lâcheté nouvelle : il s’acharne à fusiller les sauveteurs héroïques. Bientôt ses obus et shrapnells recommenceront aussi leur infernale besogne.

C’est sous le feu alors que les chasseurs remettront de l’ordre dans leurs unités mélangées, répareront les tranchées ou en creuseront d’autres, achèveront d’évacuer les blessés avec ces délicatesses infinies que savent quand il le fait, trouver leurs rudes mains de combattants.

Malgré les obus qui les poursuivent, la bonté naturelle de nos soldats continuera de s’exercer envers l’adversaire mis hors d’état de nuire. Ces Boches meurtris et tremblants ne sont plus pour eux que de l’humanité souffrante. Tout au plus leur pitié se fait-elle un peu méprisante pour ces grands diables suant la peur et qui geignent et supplient.

Un chasseur brancardier s’est chargé de conduire en lieu sûr un gros landsturmien bavarois, blessé à la jambe. De tout son poids, le colosse s’appuie sur l’épaule du Belge à peine haut comme une botte, et se traîne en gémissant, pris de terreur chaque fois qu’un projectile explose aux environs. Finalement, le landsturmien s’affaisse au bord du fossé, faisant comprendre par geste qu’il souffre trop pour marcher davantage. Le chasseur, constatant l’impossibilité de transporter cette masse pesante sur son dos, avise une brouette dans une cour de ferme abandonnée, aide le Boche à s’y installer la bouffarde aux dents, s’en va, poussant devant lui l’énorme charge, pestant contre la chaleur qui le fait suer à grosses gouttes.

C’est ce même jour que les canons allemands s’acharnent sur l’hôpital Saint-Jean, un des bâtiments les plus élevés de Dixmude, visible de partout et que surmontent d’immenses drapeaux blancs barrés de la Croix-Rouge. Il est bondé de blessés qu’on y a transportés, en attendant de pouvoir les évacuer vers les lieux mieux abrités. Comme une automobile s’arrête devant l’établissement hospitalier, amenant un officier allemand blessé qu’un des nôtres a conduit jusque-là au péril de sa vie, une décharge de mitraille éclate toute proche. Blême d’épouvante, l’officier ennemi s’accroche alors convulsivement aux coussins de la voiture de laquelle on veut te faire descendre, suppliant qu’on le conduise plus loin et criant de sa voix rauque que la terreur étrangle : Nicht hier ! Nicht hier ! Boum ! Boum ! Alles kapout !

Dans les tranchées occupées par nos chasseurs au sud de Dixmude, on continuait, comme nous l’avons dit, de travailler fébrilement, malgré le bombardement, car on ne pouvait mettre en doute que l’ennemi, retranché à quelques centaines de mètres de là seulement, recommencerait ses attaques à la première occasion.

Les hommes mirent une sorte de point d’honneur aussi à recueillir, à leur nez et à leur barbe,