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baïonnette au canon, précédant les soldats porteurs des matériaux. Le bûcher construit, un poste de surveillance et d’écoute s’y installa, commandé par le caporal Verreycken.

La précaution ne devait pas être inutile. Il était 5 heures du matin environ. Dans les tranchées, les cuisiniers, qu’on n’avait plus revus depuis quatre jours, venaient d’apporter enfin du café chaud et des vivres, quand tout à coup des coups de feu retentirent.

Fidèle à sa consigne, le caporal met le feu au tas de paille et de bois. Les flammes qui montent éclairent des silhouettes grises à peine perceptibles d’abord dans l’aube naissante. Et des environs de la gare de Pervyse, la fusillade aussitôt crépite. L’attaque est éventée, son premier élan brisé ; bientôt des tirailleurs ennemis, ramassant leurs blessés, se retirent précipitamment vers leurs tranchées creusées pendant la nuit. Durant toute la matinée, on se canarde ; quelques tentatives sont encore faites par l’assaillant, qui ne cesse de harceler nos chasseurs. Mais toutes échoueront. Alors le bombardement de la gare reprendra, violent et saccadé : ce sera peine perdue. En présence du danger menaçant, les hommes ont retrouvé un regain de vigueur magnifique et demeurent imperturbables. Malgré les obus qui éclatent en tonnerre, les pavés descellés qui rebondissent autour d’eux les pierres et les briques que les explosions lancent dans toutes les directions, les chasseurs continuent, avec un sang-froid admirable, d’exécuter pendant la journée entière, un tir lent et précis, fauchant les rangs ennemis qui se risquent hors des tranchées, abattant quelques fois des Boches à moins de 20 mètres de leurs fusils.

On voudrait, comme l’écrit un témoin, pouvoir citer le nom de tous les braves dont l’attitude ce jour-là fut vraiment merveilleuse. Mais c’est chose impossible. Trois d’entre eux, pourtant méritent une mention spéciale ; ce sont le caporal Tuyppens et les soldats De Meulemeester et Huyghe, de la 2e compagnie. Tireurs émérites, on leur avait confié un poste d’honneur, derrière la barrière du passage à niveau. Ils s’y maintinrent jusqu’à la nuit, empêchant par leur tir efficace le ravitaillement en munitions de l’adversaire.

Avec quelle joie, le soir, bien que blêmes de fatigue et les yeux brillant de fièvre, ils contèrent leurs exploits. « Je vois un Boche, porteur de deux sacs de cartouches, courir vers la tranchée. J’appuie tranquillement mon fusil sur un barreau de la barrière, je mets la hausse à 100 mètres, je vise et vlan ! comme au camp de Beverloo, c’est une « rose ! » « À moi le deuxième, ajoute Huyghe. Quant au troisième, le caporal lui fait subir le même sort que les deux premiers. Tous y passeront ainsi, nos trois braves se partagent la bonne besogne, un peu émus tout de même du réel courage avec lequel des adversaires s’exposent au péril. « Mais on ne pouvait pas les laisser faire », concluait Huyghe ; et, grâce à nos trois chasseurs vigilants, une longue ligne ennemie dut rester inactive pendant toute la journée.

À leur chef qui les félicitait, ils répondirent simplement, contents d’eux-mêmes : « C’est pas pour des prunes, capitaine, qu’on porte les insignes de tireur d’élite. »

Citons enfin, parmi les dévoués dont la conduite à Pervyse fut d’une grandeur émouvante, le Dr Vandermolen et l’aumônier Walravens. C’est dans une tranchée même qu’ils avaient dû établir le poste de secours ; ils ne le quittèrent pas un seul instant, méprisant tout danger, se prodiguant auprès des blessés, soutenant le moral de tous par leur attitude admirable. L’aumônier, vicaire de Molenbeek-lez-Bruxelles, avait vécu déjà les heures tragiques de la Nèthe, frissonnant malgré lui au vacarme des détonations formidables. Pervyse le vit, impassible, accomplir son sacerdoce, sous la mitraille qui troua en maints endroits son ample pèlerine. Quatre mois plus tard en février 1915, les tranchées de Dixmude verront plus calme encore si possible, réconforter les mourants sous le bombardement effroyable, apaiser les souffrances, dire des mots divins de consolation et d’espoir, moins ému, certes qu’au jour où la croix des braves vint orner sa vieille soutane…

B) Les 2e et 3e Bataillons à Dixmude et Oud-Stuyvekenskerke

Le bombardement de Dixmude avait commencé dans la matinée du 20 octobre st s’était poursuivi avec une violence croissante. Réparti dans les tranchées de la rive est, le 12e de ligne avait d’abord fait échouer avant midi, avec l’appui de nos merveilleux petits canons, une tentative d’attaque dirigés contre les secteurs nord et nord-est de la tête de pont.

Vers 15 heures, précédé d’un ouragan de mitraille, l’ennemi s’était reporté en avant. Une lutte acharnée s’engagea, qui dura jusqu’à la nuit tombante et obligea le colonel à jeter dans la mêlée les compagnies du 11e qu’il tenait en réserve. Malgré ce premier renfort, la situation était devenue critique à certain moment/ Pris d’enfilade par un tir meurtrier qui avait mis tous leurs officiers hors de combat, les défenseurs d’une tranchée barrant la route de Beerst avaient dû se replier. L’ennemi bondit dans la position et la gauche de la tête de pont fut mise en grand péril.

Pour rétablir la situation, il fallut l’intervention des six dernières compagnies du 11e, maintenues jusque-là sur la rive gauche du cours d’eau. Sous la conduite du lieutenant-colonel Leestmans, elles étaient accourues, franchissant au pas de course le pont de l’Yser criblé par la mitraille, traversant Dixmude bombardé et, sans souffler, s’étaient jetées en plaine bataille, pour la contre-attaque victorieuse. Quatre compagnies de marins également avaient été dirigées dans Dixmude par l’amiral Ronarc’h. Si bien qu’avant la nuit les choses étaient totalement rétablies et l’ennemi battu.

Mais l’alerte avait été chaude et le combat sanglant. Les bataillons du 12e, déployés en