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retraite par dessus les morts et les blessés, qui appelaient au secours et qui imploraient avec insistance qu’on les emporta… Des camarades traînaient derrière eux certains de leurs infortunés frères d’armes, qu’ils ne voulaient pas abandonner à leur sort… quoiqu’en ce moment chacun devait songer à son propre sort…

Soudain, clamant la victoire, les Allemands franchirent le pont…

Ils avaient passé l’Yser, la rivière rougie de sang et dont le cours était entravé par les cadavres.

En avant ! Et de nouvelles légions arrivèrent et firent ployer le pont sous le fardeau…

Mais tout à coup, un bruit atroce suivi d’un hurlement hideux, retentit.

Un obus avait touché le pont, qui vola en éclats et une hécatombe de blessés, de mourants, de cadavres mutilés, ainsi que des planches et des poutres s’enfoncèrent dans l’Yser, d’où sortit un vacarme épouvantable… On se battait encore dans l’eau ; des blessés se portaient des coups mortels, d’autres, n’ayant encouru aucune lésion, ne pouvaient échapper à la mort par submersion, parce que des camarades se cramponnaient à eux et les tiraient vers le fond de la rivière… Ci une main qui s’agitait encore implorante à la surface de l’eau, là une tête émergeant une dernière fois et poussant une clameur de détresse, un dernier adieu à la vie… Des frères d’armes se débattaient dans une lutte homicide pour se dégager d’une étreinte mortelle…

Et dominant tous ces cris de détresse poignante, le canon hurlait et les mitrailleuses jappaient…

Le passage était coupé…

Mais 800 Allemands avaient franchi le fleuve et occupaient les tranchées évacuées par les nôtres… Ils étaient d’autre part protégés par leur artillerie, qui empêchait une nouvelle attaque des Belges…

Antoine Deraedt était blessé à la main.

— Cela n’a aucune importance, dit-il à son lieutenant… J’ai mis un pansement.

— La balle est-elle encore dans les chairs ?

— Non, elle a traversé de part en part… Ce n’est qu’une simple éraflure…

Quelle matinée mouvementée !

— Il est impérieux que les secours arrivent ! dit Verhoef en soupirant… Où restent donc les Français ?

— N’y sont-ils pas encore ?

— Il n’y a qu’une brigade de fusiliers marins à Dixmude… mais nous devons résister coûte que coûte…

Les Belges s’étaient maintenant retranchés derrière le chemin de fer… La plaine qui s’étalait devant eux était couverte de morts et de blessés, mais le feu continu des Allemands empêchait qu’on la parcourut, quoique des blessés la quittaient en rampant pour se faire soigner à l’ambulance…

Les brancardiers faisaient leur devoir, mais la moisson des blessés était tellement abondante que de nombreux infortunés devaient être abandonnés à leur sort.

Verhoef songeait au pont détruit.

Il avait vu la scène hideuse et atroce et ainsi que ses camarades, il avait applaudi de cœur joie, mais il était terne, maintenant.

— Oh, maudite guerre ! gémit-il. Que fais-tu de nous ? Tu nous fis applaudir à la mort des autres… tu fis crier victoire à ces Allemands pendant qu’ils piétinaient leurs frères d’armes blessés ou mourants…

Il ne s’agissait pourtant pas de passer le temps en réflexions. Il fallait établir des travaux de défense, travailler, l’arme au poing et veiller à la mort qui menaçait de toutes parts.

Ainsi se clôtura la journée qui commença par des scènes cruelles et qui se terminerait par une phase analogue.

Soudain on commanda un assaut à la baïonnette. L’ennemi ne peut rester de ce côté de la rivière… conduisez-vous comme de vrais Belges, refoulez les infâmes barbares ! À la vie ! À la mort ! Tel était l’ordre…

Six heures avaient sonné. C’était l’heure où les fermières du pays de Furnes, allaient traire les vaches dans la prairie. Cette région paisible aux prés superbes était actuellement transformée en un enfer d’où émanait une ambiance de feu et de fumée, pendant que des milliers d’infortunés y mouraient.

Jadis la cloche du soir rappelait les ouvriers des travaux des champs…

Cette fois, c’était un signal qui faisait frissonner les soldats et qui faisait pâlir maints d’entre eux…

— L’assaut, murmurait-on parmi les rangs…

— L’attaque à la baïonnette… labourer les chairs au moyen de l’acier flamboyant… frapper, trouer, hacher… c’était la boucherie humaine !

Un cliquetis retentit… On fixait les baïonnettes sur les fusils…

C’est la lutte à outrance, il faut résister, murmura Verhoef…

Il était parfaitement conscient de ce qui allait se passer, lui aussi pouvait tomber… et il songea à Berthe.

Il étouffa un sanglot… Mais il était lieutenant à l’armée belge… il devait remplir son devoir… Il était lié à ses hommes qui avaient foi en lui.

— Soyez forts, mes amis, vous connaissez l’ordre ! cria-t-il…

Le signal retentit à nouveau…

Et du coup, sautant comme des écureuils, les soldats sortirent de leurs tranchées et franchirent la voie ferrée — à l’assaut.

L’artillerie allemande et ses mitrailleuses ne tardèrent pas et ouvrirent un feu d’enfer…

Des hommes tombaient, poussaient un cri de douleur, un râle… On ne s’en inquiétait pas en ce moment… le régiment avançait… Dès que les officiers et sous-officiers s’apercevaient d’une