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y compris.

Berthe n’avait plus peur. Un sentiment tout autre la dominait… Elle avait aidé les guerriers. Elle ferait davantage… Elle, la fiancée d’un lieutenant, d’un officier, lui était-il permis de chercher un refuge dans un petit village et grossir la foule des nécessiteux ? Ou était-ce son devoir de soulager les souffrants et les infortunés, de prêter secours partout où elle pourrait, d’opposer la charité à la cruauté et l’amour à la haine ?

C’était le rôle de la femme toute auréolée en cette œuvre grandiose, alors que le mari est à la guerre, blesse et tue…

La petite ville était à nouveau secouée sous l’action des lourds mortiers crachant la mitraille, des toits s’effondraient, des murs vacillaient, les chaussées étaient dépavées et de toutes parts les flammes montaient au ciel.

Berthe résignée ne parlait plus de fuir…

Elle agirait ainsi que son père déciderait.

Quant à fuir très loin, elle ne le ferait pas…

Elle voulait rester à proximité des guerriers, fatigués, affamés, blessés… Elle continuerait la tâche entreprise de plein gré…

Jusqu’à présent, elle n’avait vu que des éraflures et des blessures de peu d’importance. Aurait-elle la force de soigner les plaies mortelles et les soldats mutilés, de regarder en face toute la douleur poignante émanant du champ de carnage ?

La jeune fille n’y songea pas, parce qu’elle ne connaissait pas encore la guerre en sa hideur et qu’elle se laissait guider par les événements.

Elle était heureuse à présent de ne pas avoir fui, quoique la cave tremblât sous l’airain en fureur et qu’on percevait de temps à autre la réverbération des flammes par des interstices et que le bruit des immeubles s’effondrant parvenait jusqu’à eux.



VII.

À Tervaete.


L’ordre du jour du 13 octobre 1914 était ainsi conçu :

« Arrêter l’ennemi, l’empêcher de franchir l’Yser, coûte que coûte. Tenir tête jusqu’à l’arrivée des renforts, en cours de route. »

Il n’en fallait pas davantage pour les Belges, pour empêcher l’ennemi d’occuper le dernier lopin de la patrie ! Les renforts qui arrivaient, décuplaient leur ardeur et leur ténacité.

Ce n’était pourtant que quelques kilomètres carrés de terres basses et fertiles, cernées par la petite rivière quasi inconnue naguère qu’il leur restait. Un petit pays de fossés et de digues séparant les prairies et les champs… Quelques minuscules villages avec de trop grandes églises pour le petit nombre d’habitants. Des fermes aux riches vergers disséminées ci et là et reliées par des routes bordées de tilleuls.

Mais la patrie restait néanmoins inviolée, on tenait encore le dernier lopin…

Fiers de leurs traditions, fiers de leurs libertés et de leurs prérogatives, les guerriers allaient démontrer à l’univers, dont le regard était fixé sur cette lutte titanesque que l’indomptable bravoure qui caractérisait notre armée ne faillirait pas, et qu’elle saurait défendre ses clochers, le symbole de la foi.

Nos soldats étaient animés d’une volonté commune et inébranlable, ils faisaient l’admiration du monde entier, tenant tête derrière l’Yser : une poignée de valeureux luttant contre des millions de barbares et décidés à sacrifier la dernière goutte de leur sang plutôt que de céder…

Et quoique l’Yser soit devenu légendaire, il ne constituait cependant qu’un faible cordon de défense. Il est étroit… et ceux qui le verront plus tard s’exclameront ébahis :

« Est-ce cela l’Yser ! »

Son cours décrivait d’autre part une courbe vers l’ennemi, alors que le cordon était formé par le chemin de fer Nieuport-Dixmude.

Si les Allemands réussissaient à prendre ces villes et s’ils parvenaient à s’établir sur la rive gauche de la rivière, l’Yser devait être abandonné par nos troupes.

Les courbes de l’Yser à St. Georges, à Schoorbakke et à Tervaete pouvaient être avantageusement utilisées par le parti assaillant. C’était là surtout que la bataille ferait rage.

On travaillait fiévreusement pour mettre la plaine en état de défense. Le creusement des tranchées y était pourtant très difficile dans ces terrains humides, où, à chaque instant, l’eau suintait. Des tranchées en pleins champs étaient vite remarquées, et les villages présentaient des cibles qu’il n’était pas possible de camoufler.

Pourtant les Belges résistaient et empêchaient l’ennemi d’occuper et d’opprimer le dernier recoin de la patrie lâchement violée.

Nous avons été témoins des premiers engagements, mais les assauts devenaient plus furieux…

Furnes et ses environs étaient à nouveau noyés sous la fumée et tremblaient au bruit du canon.

Le soir tombait déjà, mais la bataille faisait toujours rage.

Le lieutenant Verhoef, après avoir fait réparer une tranchée démolie en partie, avait ordonné le repos à ses hommes… le repos pendant que l’artillerie tonnait sans trêve et que les bombes sifflaient et explosaient par dessus la plaine.

Antoine Deraedt se trouvait à ses côtés…

— Prends quelque repos, lui dit amicalement Verhoef.